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  Que faisiez-vous pendant ce temps ?

Chapitre XVI CHAPITRE  XVI





J'ai laissé s'épanouir toutes les fleurs de mon jardin
  

La première manière d'essayer de survivre dans ce nouveau décor, se traduisit de manière pratique par la mise en ½uvre de l'une des grandes idées révolutionnaires des éco-marginaux, je veux parler ici, de la récupération (scientifiquement: le recyclage). Récupération entre autre, de tout ce qui pouvait ressembler à quelque chose de précieux: vieux livres, ferraille, bois, fenêtres, vieux moteurs, vieilles idéologies, etc.

A ces fins alimentaires basiques, nous nous levions le plus tôt possible, pour être sûrs d'arriver les premiers sur les sites stratégiques que nous avions repérés et les sites les plus stratégiques pour une récupération efficace sont en général, les poubelles de nos villes et de nos villages. Cette spectaculaire représentation des sociétés modernes, ces tas de détritus et de rejets de toutes sortes étaient bien là, pour nous prouver la surabondance des biens de consommation. Il faut dire que quand on a visité l'Inde ou un quelconque pays du "Sud" et que l'on a vu de ses propres yeux que le moindre tesson de bouteille est récupéré d'une manière avide par les gamins du coin, on a du mal à se faire au discours officiel sur la difficulté du recyclage des matériaux par des filières adaptées.

Nous avions donc la chance pour pouvoir survivre, d'être entouré par deux ou trois villes dont les rejets correspondaient à une fonction fabuleuse et inédite dans l'histoire de l'humanité. D'une manière plus précise, il y avait près de chez nous un site spécialement intéressant qui s'étalait sur plus de huit cent mètres de long et un autre tout aussi attrayant qui s'étageait sur plus de deux cent mètres de dénivellation.

Le premier, situé près d'une belle rivière, fournissait à la région et avec l'aide du vent, ceci sur plus de cinquante kilomètres de distance, toute une panoplie de sacs plastiques biodégradables ou non, aux couleurs chatoyantes. Ces oripeaux modernes bordaient dès lors, en aval de leur source, routes et cours d'eaux, d'une farandole de rubans et de guirlandes qui étaient bien la preuve d'une fête de la consommation ininterrompue, une fiesta dont la débauche aurait été visible à travers cette manifestation (inconsciente). La télévision vint d'ailleurs un jour, filmer les ébats de cette fête aux détritus, lors d'une émission mémorable où l'on décernait aux gagnants « le prix » de l'action touristique la plus évocatrice de l’année. Prix que cette petite région n'a plus jamais gagné, car depuis lors, le site a été fermé au public. Vers quels autres types de débauches, je me le demande encore ?

Le second site était moins pratique à inspecter et à remettre en valeur, car entre le haut et le bas de la décharge il y avait plus de deux cent mètres de dénivelé. Là, le jeu des passants consistait à venir remplir une sorte de dépression géante (une sorte de géosynclinal), avec toute une série d'objets hétéroclites. Ce faisant, quand un objet assez lourd, donc monnayable au niveau du poids du métal était jeté, il roulait boulait à une vitesse vertigineuse dans le champ en contrebas champ, qu'un paysan obtus s'acharnait à cultiver, en vert et contre tous. Il devenait dès lors quasi impossible d'aller le récupérer. Cela nous remplissait d’une profonde tristesse car on pensait à toutes les richesses enfouies ici-bas et maintenant devenues inutiles. Il est vrai que nous avions toujours présent à l'esprit que les américains avaient voulu racheter la future colline olympique de Munich pour toutes les richesses qu'elle contenait. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les allemands l'avaient en effet construite à coup de bulldozers et de camions énormes avec tous les restes calcinés de la ville bombardée; Vous savez ainsi maintenant qu'en empruntant, au sommet de la colline, la belle avenue Luther King, vous marchez sur des tonnes de richesses incroyables (vieilles dents en or, prothèses, etc.) accumulées à la va-vite à l'extérieur de la ville par des gens pressés d'oublier leur mémoire collective ou décidés à la raser définitivement. Ainsi, pleurions-nous donc nous-mêmes, toutes les richesses accumulées à cet endroit, ces trente dernières années si glorieuses, et imaginions-nous toutes les possibilités de remettre en valeur un patrimoine si évident.

Cependant, malgré tous nos efforts, il faut dire que nous ne sommes jamais arrivé à véritablement concurrencer le commerce des gitans qui eux, étaient rodés depuis longtemps à l'utilisation de ce genre d’espace. Des espaces vraiment privilégiés que les citadins mettent le plus souvent à la disposition de ces névrosés de la sédentarisation. C'est ainsi que ces romanichels (gitanus vulgum) ne nous laissaient le plus souvent que la portion la plus inutilisable celle, que leur propre système de récupération laissait derrière eux.

Toutefois, continuellement bercés par le rêve de la découverte d'un objet unique, nous envisagions de mettre à jour, comme dans un vieux film d'Hitchcock, des vieilles boites remplies de pièces d'or et d'argent ou plus prosaïquement, quelques cartes postales jaunies et encore monnayables dans les marchés à la brocante de notre grande région. De plus, comme nous étions des esprits pratiques et rationnels, nous stockions au fur et à mesure dans un désordre parfait tout ce que l'on imaginait avoir une valeur.

A ce sujet, je puis vous assurer qu'il ne faut pas très longtemps pour remplir entièrement une maison et ses environs, de toute une série d'objets des plus incroyables qui soit: vieux frigos pour les compresseurs, vieilles mobylettes avec l'espoir de les réparer, vieux chauffe-eau pour le cuivre, vieux cartons et vieux cartoons, cartes postales et livres anciens pour réapprendre à lire et à écrire, vieux outils, vieux vélos pour les cadres, vieilles bouteilles pour l'esprit du souffle, vieux tuyaux de plomb et de poêle (comment ça va ?), lingots de plomb pour jouer au scaphandrier, etc. Si nous avions pu récupérer la fumée pour faire des signaux, nous l’aurions fait bien volontiers, car dans les étages inférieurs de l'immeuble social, on nous surnommait les Indiens. Il faut dire ici que la tête que faisait l'individu de passage dans ce coin de montagne désert, lorsqu'il venait y prendre un bol d'air, était à la hauteur du spectacle que devait donner cet amoncellement imprévu d'objets de toutes sortes. La déprime pouvait le saisir tout à coup. Nous le comprenons rétrospectivement, car de nombreuses années après cet épisode, je retrouve encore au fond des caves et des greniers, tout un tas de ce surplus français qui ne nous a en réalité, jamais rapporté un seul penny.

Malgré ces avatars réguliers, voici la plus belle histoire de récupération à laquelle nous ayons participé: A force de récupérer des choses inutiles et encombrantes, nous avions décidé que la meilleure façon de se faire un peu d'argent, était de ne plus récupérer qu'une seule qualité de métal. La valeur au kilo de chaque type de métal ayant un cours précis, nous avions porté notre dévolu sur l'aluminium qui, comme chacun le sait, se place immédiatement après le cuivre mais avant le maillechort dans l'échelle électronique des valeurs boursières. A cette époque-là, tenez vous bien, chez un bon ferrailleur, on pouvait espérer vendre ce métal, au prix appréciable de 4F le kilo, le problème restant d'en trouver suffisamment pour boucler les fins de mois (surtout en hiver).

Mais chut ! Nous avions trouvé un filon inépuisable ! Pas très loin de chez nous, à environ 1,5 Km de la maison, il y avait un centre d'essai du potentiel de résistance aux intempéries, ou de leur pouvoir de distorsion, de certains matériels et matériaux, utilisés par E.D.F., vu que c'est par ici que les pointes de vent les plus fortes d'Europe ont été repérées. Chez nous, il n'est pas rare en effet, comme en 1984, de se retrouver avec un toit en moins après une tempête de force 12 sur l'échelle de Beaufort ou au milieu d'un carnage forestier relatif à la chute des arbres sur plus de dix hectares autour de la maison.

Notre fière E.D.F. n'avait d’ailleurs pas choisi cet emplacement au hasard, car lors de la construction d'une de ses autoroutes énergétiques et après seulement quinze jours de maintenance, tous les pylônes à THT qu’elle venait de poser, avaient plié sous la force du vent. Aussi, par saine réaction, la compagnie avait-elle tenté d'opposer à la nature si excessive de ces lieux, la présence de toute une diversité et de toute une qualité de matériel électrique, manufacturé ou non, dont voici une petite liste non exhaustive : pylônes géants de toutes sortes, poteaux électriques en bois ou en métal, poteaux de bétons, etc. Outre leurs élégants modèles de pylônes, nos braves sorciers de l'atome installaient régulièrement sur le site, des câbles énormes de plus de 400 mètres de longueur, des câbles qui après quelques jours de tempêtes, gisaient lamentablement au pied de leurs pylônes cassés. Il faut dire qu'en récupérant simplement les morceaux de fils tombés à terre et traînant çà et là, nous étions arrivé au bout d'un certain temps à collecter plus de deux cent kilos d'aluminium. Des fils d’aluminium que nous avions découpés en d'autres petits fils d'une longueur précise et entassés dans des cartons et ceci, bien à l'abri de tout regard indiscret, au fond de nos soutes sans fond... Mais la suite du plan se voulait autrement plus lucrative.

Nous avions imaginé qu'en découpant à la scie à métaux un seul de ces câbles de plus de 400 mètres de long et d'à peu près six centimètres de diamètre, câbles qui traînaient lamentablement des mois entiers sur ce site impossible à décrire, on arriverait, avec un seul de ces longs serpents, au poids astronomique de cinq kilos par mètres linéaires. Cinq kilos que multiplie 400 mètres, égale deux mille kilos, eux mêmes multipliés par 4F, ça fait tout de même huit mille balles (1200 yuros). A cette époque-là, ça nous laissait tous rêveurs car nous imaginions qu’avec simplement trois câbles de ce type, on pourrait vivre largement toute une année (pas de loyer, pas d'eau, pas d'électricité, pas de charges, pas d'impôts). Le seul problème, à part celui de l'écoulement des produits, étant de découper les fils à une longueur adéquate, pour qu'ils ne se voient pas trop lors du transport ou autour de chez nous pendant la durée de cet amusant labeur.

Le reste de l'histoire est inénarrable car, outre que cela représentait un travail impossible à réaliser avec une scie à métaux conventionnelle, au c½ur du câble, il y avait (Oh! Le traître !), un tendeur fait en acier spécial impossible à découper avec notre pauvre instrument. Malgré toute notre bonne volonté, nous revînmes marris de cette longue expédition nocturne et encore plus déprimés et désappointés qu'à l'habitude, mais avec tout de même l'espoir insensé d'utiliser sur place une tronçonneuse électrique des plus modernes. Ce projet fut lui aussi rapidement abandonné, car le voltage des lignes à très haute tension est difficilement utilisable, sans la présence de toute une série de transformateurs et de « distorseurs », haut de gamme, des appareils spécialisés qui faisaient horriblement défaut sur ce site, impossible à décrire, tellement les jours de vent et de brouillard cet endroit ressemble à une vision hyper réaliste de la fin du monde (électrique).

Comme vous le voyez, il était potentiellement dangereux de laisser tranquille une telle bande de dés½uvrés, car les idées qui germaient dans leurs têtes enfumées et dans leurs cerveaux fertiles étaient des plus farfelues. Et vous allez le voir, nous imaginâmes des projets encore plus dangereux pour la société, car les idéaux et les nécessités primordiales poussent parfois le marginal à des solutions extrêmes... En voici quelques-unes qui heureusement n'ont pas été mises en application.

Nous avions entendu dire que les batteries de secours, en cas de panne électrique du réseau ferroviaire, étaient bourrées de plomb, nous pensions toutes les récupérer. Nous avions même imaginé, après chaque déraillement que cela aurait provoqué, d’aller récupérer les caténaires, ce qui au prix du cuivre nous aurait rapporté une petite fortune.

Certains jours de déprime, nous envisagions d'aller récupérer le grillage qui borde les autoroutes car il empêchait les vaches d'aller et venir entre les deux rives de verdure de l'océan campagnard. Cette action aurait eu la vertu, comme dans un vieux film de Fellini, de créer en même temps une diversion intéressante dans le monde des robots autoroutiers. Il faut dire que tout en restant cohérent au niveau de nos actions, notre objectif principal était de sortir de l'ennui qui aurait pu à tout moment glisser dans nos êtres sa graine empoisonnée.

Toutefois, la récupération et le recyclage ne suffisaient pas à assurer un train de vie si excessif et parallèlement, nos esprits ne chômaient pas quant aux solutions à mettre en ½uvre afin de survivre dans ce monde si rude. De fait, nous avions plusieurs cordes à notre arc, un arc qui finalement ressemblait en tous points à une harpe. Voici donc quelques exemples de petits boulots accomplis, tout au long de ces années de semi-liberté :

- la cueillette des cerises. Là aussi, il y a la concurrence des gitans et à 1F le kilo ramassé, on arrivait difficilement à se payer l'essence pour faire l'aller retour entre la maison et le lieu de travail.

- l'écimage de tous les sapins de la région et l'ébranchage des houx pour satisfaire la débauche des croyants tout au long de leurs fêtes de damnés.

- La mise en place d'un chantier pour pouvoir vendre la terre (de bruyère).

- La culture d'un hectare de cannabis pour pouvoir subvenir aux besoins de toute la région.

- La revente de tous les buis de la région et des essences de bois précieux soit à des sculpteurs soit à des paysagistes.

- Le ramassage des plantes médicinales et des baies, particulièrement celle de genièvre (avec des gants de boxe pour ne pas se piquer les doigts).

- le ramassage systématique de tous les escargots de la région. Depuis il n'y en a plus un seul qui « escargotte » dans un rayon de 30 Km à la ronde.

- le cueillette des plantes aromatiques pour les revendre sur les marchés de la région, certains ayant même préconisé l'usage d'une moto faucheuse pour augmenter le rendement.

- le ramassage de la lavande pour vendre des petits sacs aromatiques à mettre dans les armoires secrètes pour que ça ne se mette pas à puer l'habitude.

- la mise en place de gobelets à chaque résineux pour faire de l'essence de térébenthine locale. - la culture intensive de toutes sortes de légumes.

- le pillage rationnel des champignons.

- la cueillette des champignons psychotropes et des plantes hallucinogènes.

- la vente de cailloux comme à Lourdes et l'embouteillage des eaux de source.

- la remise en fonction de toutes les vieilles mines et des anciennes carrières de la région.

- la culture du safran, mais là il faut trop de main d'½uvre.

- l'abattage de tous les arbres de la région pour le revendre en bois de chauffe aux citadins imprévisibles.

Il faut savoir, que la plupart de ces activités ont tout de même réussi à faire vivre au moins une ou plusieurs familles actuellement installées dans un rayon de 20 à 30 Km autour de notre lieu de vie. Ainsi, cette écolo-attitude qui pouvait paraître si désopilante au début de notre ère s'est révélée plus que prometteuse pour l'économie de la petite région.

Cependant, pour être vraiment exhaustif, il faut aussi compter avec les travaux saisonniers de toutes sortes, des travaux saisonniers qui nous permettaient en même temps de voyager:

- la cueillette des oranges, des concombres ou des olives en Crête ou dans le sud de l'Espagne. - la cueillette du coton en Floride.

- le ramassage des fraises, des framboises et des myrtilles dans la Montagne Noire.

- la cueillette des pommes, des pêches, des tomates dans le secteur ou un peu plus loin. - le calibrage des fruits dans les sociétés de chasse du Médoc (les pruneaux d'Agen).

- l'arrosage ou l’écrêtage du maïs à des fins symboliques.

Voici donc, quelques-uns des exemples de petits boulots effectués par la frange des lutins réunis de ce coin de planète qui, de prime abord, peut sembler désert et ennuyeux. Il y en eut d'autres, moins avouables, tels que la brocante et autres commerces illicites dont il serait non avenu ici d’en connaître l'objet ou d’en faire la délation. Toutefois, on retiendra et on pensera entre autres petits boulots, à celui de garde barrière (!?), un travail qui nous a fait constater une bonne fois pour toutes, que nous appartenions bien avant tout à la race de ceux qui regardent passer les vaches.

Cela vous donne aussi une idée plus précise du bouillonnement incessant de nos petites têtes, surtout quand on pense que le plus souvent, les nécessités financières passaient en arrière-plan de notre nécessité vitale de créer des rencontres. On peut alors à partir de là, évaluer le manque...

Malgré tout, les vendanges méritent un détour un peu plus approfondi que la simple citation, en premier lieu pour la débauche d'efforts et la cohabitation consentie, et ensuite, pour la débauche tout court de nos corps si régulièrement en manque (d'alcool et de sexe). C'est ainsi que nous avions trouvé la place rêvée chez le producteur de vin le plus attentionné de la région, un producteur qui tous les ans, en vue de s'enrichir un peu plus, nous faisait la même proposition : la cueillette des raisins dans le Haut Minervois.

Toutefois il faut dire qu’avant de commencer ce pénible travail, ce qui nous faisait le plus de peine, c'était qu'il nous fallait abandonner pour près de trois semaines, notre petite niche écologique. Nous investissions donc, pour cette durée de temps limitée et à une dizaine de personnes, une maison que nous prêtait aimablement le propriétaire. Il nous fournissait aussi le vin !

Nous fîmes chaque année de ce lieu, et pour toute la durée des vendanges, l'auberge espagnole la plus réputée de la région ceci, dans un rayon de plus de cent kilomètres à la ronde.

Et dans cette auberge complètement dérégulée, nous passions notre temps à parler du temps qui passe suivant, les jours d’automne lumineux, l’appel de la nature.

Puis repartions de là, passer l’hiver ailleurs, attendant le printemps…cette ancienne porte des espérances.

Modèle
Ecrire, rectifier, donner son avis