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Prologue
PROLOGUE





Il faut réapprendre la valeur des mots
  

Afin de mourir en paix avec eux-mêmes, les hommes doivent en finir logiquement avec leur propre passé. Cependant, pour maintes raisons qui semblent apparemment futiles, cette action radicale leur reste le plus souvent très difficile à accomplir car ils se heurtent en général à des difficultés de fin de parcours. Toutefois, si les hommes ne se résolvent jamais réellement à effacer définitivement leurs propres traces, du moins essaient-ils, par des moyens détournés ou quelques artifices, de taire ou de faire oublier cette forme d’état révolu qui les hante au jour le jour, cet état dépassé dont la plupart du temps ils ne retirent plus aucune fierté.

A leur décharge, il faut dire que les dispositifs chroniques d’intégration sociale ainsi que la notion de matérialisme historique, développent mécaniquement chez les gens une gêne secrète autour de leurs conditions de vie antérieure. Cette vive propension les pousse dès lors à rejeter, tout ce qui pourrait trop les éloigner du modèle socioculturel dans lequel ils baignent quotidiennement, un modèle dont on leur a forgé ailleurs les contours et dont ils ont eux-mêmes et au fil des jours parfois simplifié à l’extrême les finalités. Cette vive propension les pousse aussi à dissimuler le plus rapidement possible, tout ce qui potentiellement ou réellement serait à même de révéler les différents archaïsmes de leurs anciens modes de vie.

Transposée dans un contexte rural, là où le hasard des rencontres se heurte à l'immobilité des survivants, cette donnée sociologique n’en prend que plus de poids. Dans ces décors isolés, les nouveaux venus qui pour des raisons adaptatives précises, dévoilent un jour et par des actes maladroits, le passé des individus du crû deviennent alors très vite, pour l’ensemble des populations riveraines, des sortes « d’empêcheurs de mourir localement en rond ». Ce faisant, en contestant pour des raisons idéologiques variées, les anciennes valeurs morales d'un groupe social historiquement hiérarchisé, ils libèrent aussitôt et de manière totalement inattendue, les ultimes forces des derniers autochtones, pour rejeter au loin, les quelques intrus qui osent ainsi venir troubler leur solitude et leur désir de paix. Et, dans cette absence d'horizon culturel, dans ce no man's land entre la vie et la mort, dans ce désert des inquiétudes, une des seules armes qu'ait su réellement mettre au point cette frange de population contre une population nouvellement venue, est le dénigrement systématique de ses actes.

L’entreprise d’exhumation et de revalorisation des anciennes valeurs rurales : habitat, modèle de culture, milieu familial, fêtes votives, économie rurale, etc., à des fins éco-dynamiques par exemple, se heurte donc le plus souvent à une vive réaction de la part des locaux. Une réaction en chaîne qui peut aller d’un simple renfrognement passager, à une forme de chasse organisée; certains essayant même parfois, de faire partager ces horizons dépassés aux quelques ouailles qui pour des raisons improvisées, seraient tardivement restées fidèles à ces anciens modes de vie.

Pourtant, au fur et à mesure qu’un ou que plusieurs individus parachutés se mettent ici ou là, à défendre et à revaloriser un bout de territoire appartenant de manière présupposé à d’autres individus, ils provoquent en retour un grand stress auprès des personnes concernées, un stress toutefois relativement salutaire qui les pousse à s’exprimer enfin, sur leur propre passé. Suite à ce contact imprévu, les serrures des coffres-forts de la mémoire individuelle ou collective se mettent alors petit à petit à sauter une à une, libérant cette dernière de l’état d’inhibition prolongée dans laquelle elle était maintenue par les carcans sociaux. A partir de là, par un phénomène que l’on appellera dès lors « confessionnel », l’individu parachuté arrivera après quelques longues années de patience à connaître parfois plus de l’histoire intrinsèque de chacun de ses voisins, qu’un de leur familier. Car si l’homme se méfie le plus souvent comme de la peste de ce qui lui est arrivé antérieurement il ne peut, s’il veut continuer encore un peu à vivre en accord avec lui-même, renier totalement sa jeunesse, une jeunesse lointaine et inconsciente qui forme presque à elle seule son univers poétique et qui reste à ce titre une de ses meilleures défenses face aux événements confus de la vie de tous les jours.

Cependant, au fur et à mesure que certaines personnes s’emparent afin de les transcender, des valeurs de l’Histoire, elles en supportent aussi logiquement les pesanteurs et les nombreux avatars. C’est ainsi que, telles des huîtres perlière créant quelques merveilleuses sécrétions autour d’un point de fixation étranger, les nouveaux chantres du ruralisme, devenus à leur tour localement des marginaux, secrètent eux aussi autour de ce concept aujourd’hui vidé de son sens historique, une forme de poésie tardive, une poésie temporellement décalée qui arrive à les gêner et à les indisposer, par rapport à l’objet même de leurs principales préoccupations contemporaines de survie. Dès lors, la pure émeraude qui habite chacun d’eux, n’est plus en fait que l’expression, à leur corps défendant, des nombreuses sécrétions émises par l’intermédiaire de leurs propres armes culturelles.

Pour expliquer cette forme de merveilleux échec en solitaire, il faut dire que face à la complexité du monde et au sein de leurs univers conventionnels, peu importe finalement aux hommes ce qu’ils vivent ou qui ils côtoient tout au long de leur vie. D’ailleurs, attachés à leur labeur, ils ne prennent généralement pas, le temps de s’en soucier... En effet, dans leur approche primitive des différents aspects de cette même complexité, les gens vivent habituellement ici-bas, une intensité d’existence qui les pousse le plus possible, à se désintéresser de tout ce qui leur est réellement inconnu. La plupart du temps il faut le dire, par simple peur des autres. Chacun défendant alors avec âpreté la condition sociale dans laquelle il se trouve et ceci, afin de survivre au mieux dans cet état, tout en se donnant le droit de critiquer continuellement la vie des autres.

Mais quand, dans les limbes des souvenirs d’enfance et du chacun pour soi, la fonction de chacun se réduit quotidiennement à attendre tout bonnement demain, que reste-t-il alors aux hommes de plus intéressant à vivre qu’à faire semblant de traîner continuellement derrière eux une immense fatigue ? Et, c’est cette forme d’indifférence envers les efforts continuels des autres, qui crée les différences.

Jarry-Valarez Cousses Grenade le 24/12/87. 
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