Si
la formule veut que le chien soit le meilleur ami de l'homme, le cheval
sa meilleure conquête, la tortue sa meilleure carapace, etc. La chèvre
elle, est depuis longtemps son plus grand divertissement.
Quoi de plus doux, quoi de plus têtu, quoi de plus affectueux, quoi de
plus agile, quoi de plus facétieux, quoi de plus câlin, quoi de plus
peureux, quoi de plus attachant, quoi de plus désobéissant, quoi de
plus charmant, quoi de plus curieux, quoi de plus surprenant, en un
mot, quoi de plus enchanteur qu'une chèvre.
Vêtue de sa robe blanche ou beige, de son poil long ou court, embellie
par des cornes fières ou tire-bouchonnées, chaussée de sabots comme de
talons aiguille, maquillée de faux cils et attifée de pampilles, elle
se met à vous regarder de ses yeux si clairs et si doux, elle
s'approche de vous d'une manière si câline que vous fondez déjà et,
bien qu'elle soit venue uniquement pour brouter la fleur qui est dans
le pot derrière votre dos et non pour des caresses, vous lui pardonnez
déjà tout à l'avance, car, ce qu'elle fait est si subtil, si fin, si
malicieux et si inattendu que vous ne pouvez qu'admirer son
comportement démoniaque et entêté. Elle fera tout pour brouter cette
fleur que vous avez eu tant de mal à soigner et que vous avez déjà
sauvée cent fois de ses lèvres avides. Mais elle vous aura, elle
reviendra autant de fois à la charge qu'il le faudra mais elle vous
aura, et elle bouffera cette fleur.
La voilà qui galope, s'arrête tout à coup pour éviter une petite flaque
d'eau ou un morceau de bois qui barrait le chemin, elle est aux aguets
comme si elle avait vu un chien ou un loup, elle repart, s'attarde sur
une touffe d'herbe dont elle ne cueillera que trois brins, trottine sur
quelques mètres pour se rattacher au reste du troupeau, broute une
fleur, corne une de ses voisines qui veut la même fleur, s'arrête et se
bat à nouveau contre une autre voisine; mais ce n'est pas sérieux, pas
aujourd'hui.
Puis elle s'approche de la haie, se lève sur les pattes
de derrière, choisit la feuille la plus haute, retombe lourdement,
recommence aussitôt pour enfin l'attraper. Elle fait plier la branche,
l'amène jusqu'au sol, c'est là que ses compagnes lui chipent tout le
reste. Nullement en colère, elle change d'endroit, va plus loin, glisse
sa tête entre deux épineux afin d'atteindre le morceau de mousse le
plus caché, le plus invisible de tous les morceaux de mousse.
La voilà
maintenant en train de se gratter et de se faire les cornes sur un
pauvre églantier, elle l'écorce, mange ses fruits et change de secteur;
ses compagnes ont déjà dépassé la murette, elles sont dans le bois en
train de manger des châtaignes. Dédaignant les bogues épineuses, du
bout des lèvres elles en retirent le fruit, le malaxent, le
mâchouillent, et l'ingurgitent enfin, satisfaites du goût; se déplacent
un peu plus haut, piétinant au passage des champignons dont elles ne
mangeront qu'un morceau. Quel gâchis !
Il y en a une qui est maintenant fatiguée. Elle se couche d'une manière
confortable, mais déjà les autres sont à vingt mètres de là. Elle se
relève, les suit docilement; Tout à coup, une légère brise fait bouger
les feuillus, les chèvres s'arrêtent inquiètes, oreilles quillées, yeux
exorbités, cous tendus, un éternuement du bouc et ça y est, c'est le
signal, la cavalcade, jusqu'à ce que rassurées et ne voyant rien
derrière elles, elles stoppent leur course quelques vingt mètres plus
loin; font les bêcheuses, friment, se caressent l'une à l'autre, voient
du lierre y foncent dessus. C'est la dispute, le dessert.
Puis, elles
repassent dans le pré y broutent une petite demi-heure et s'allongent
au soleil dans l'attente d'une nouvelle alerte. S'il n'y a rien, elles
restent là, se prélassant, elles se tournent le ventre à l'air, se
dévissent la tête pour essayer de se gratter le dos, mais n'y arrivant
pas, elles se relèvent tranquillement, font trois mètres de plus, se
recouchent aussitôt, s'enivrent de l'air pur, tombent à la renverse. En
voilà une qui se redresse, se lève, fonce sur sa voisine qui la feinte,
change de direction, fait quelques pirouettes.
Enfin elles ont soif, passent devant nous comme si elles ne nous
connaissaient pas, foncent vers l'abreuvoir. L'eau est trop froide,
trop courante, il y a une paille, un moustique, c'est gênant; enfin,
l’une d’elles se décide et s'abreuve longuement, s'ébroue, rattrape ses
compagnes qui déjà sont à l'autre bout du hameau et disparaissent
derrière un taillis de prunelliers.
Images saines et rassurantes. Image d'un plaisir renouvelé depuis bien
des années. Que serions-nous sans elles ? (sans ailes !)
Yeux révulsés, tête tendue en arrière, naseaux au vent, lèvres
supérieures retroussées, voici le bouc. Il hume l'air dans une position
qui rappelle celle des grands mystiques, recherchant dans le fin fond
de leur mémoire, les causes profondes de l'existence. Puis aussitôt
qu'il a fini cette forme de mantra, il s'asperge la tête d'urine et,
réconforté par le parfum qu'il dégage, s'en va faire la cour à une de
ses compagnes.
D'un bêlement aussi vindicatif qu'autoritaire, il se plante devant sa
nouvelle conquête qui elle, se met à le caresser et à se frotter contre
lui d'une manière aguicheuse. Lui la contourne, la serre, l'appelle, la
pousse, la force, et finalement arrive à ses fins. L'idylle n'a duré
que quelques petites minutes mais, ayant déjà des vues sur une autre
femelle, notre bouc s'en va reprendre quelques forces en broutant un
peu d'herbe. Il en profite aussi pour s'appliquer à nouveau un autre
petit jet d'un de ses parfums secrets qui entretiennent dans l'air un
musc inégalable.
Ce qui nous conduit à parler de la reproduction de cette race chérie du
diable et, si vous ne savez pas comment cela se passe, je vais vous
l'expliquer.
Donc, nous en sommes à l'accouplement. Celui-ci induit une éjaculation
rapide des spermatozoïdes qui avaient pris naissance par millions lors
d'une gamétogenèse complexe à l'intérieur des testicules. Remontant par
l'épididyme, puis par le canal déférent, ils se chargent des glaires
que cette salope de prostate et que ces intenables glandes de cowper
leur envoient en signe de ralliement. Nous tenons là, notre sperme.
Le chevauchement et l'introduction de la verge, permettent à ce petit
cochon de bouc de vider son produit au fond du vagin de cette pauvre
chèvre en train de prendre son pied d'une manière incontrôlable (et
inénarrable).
Les spermatozoïdes ayant perdu tout repère ainsi que toute attache,
filent comme des fous le long de l'utérus, un utérus qu'ils ont vite
fait de remonter tout en se flagellant le corps d'une manière déjà
équivoque. Ils glissent sur les pentes visqueuses et vont se tapir dans
la trompe espérant quelque ovule.
Comme par hasard, celles-ci se
baladaient par là, faisant depuis une ou deux heures semblant de rien.
Après s'être fait éjecter de la maison mère par les parois indignes des
ovaires, livrées à elles mêmes et ne sachant que faire, elles prennent
dès lors (rien que pour faire chier les parois) la décision
irréversible de fusionner avec un grand gaillard de spermato qui
n'attendait que ça. Et voilà, une bouche de plus à nourrir qui
s'annonce et qu'il faudra bien supporter toute une vie durant. Car à
partir de là, c'est la vie qui reprend le dessus sur des instants de
plaisir qui n'ont finalement duré pas autant de temps que prévu
(l'éternité est courte dans ce cas là !). On s'étonnera dès lors que le
bouc soit frustré. Il essaye cent fois et tant qu'il y aura du sperme,
il tentera de l'écouler. Heureusement que la nature l'a doté d'un
harem, sinon il n'aurait pas supporté la vie et se serait peut être
suicidé.
Car cette attente n'est pas que raison pure... Le reste du
temps cependant, le bouc médite quelquefois sur la gestion des derniers
instants de la vie, mais il n'en fait pas tout un plat, il attend là,
en s'arrangeant avec la compagne de monsieur Seguin, ce vieil homme qui
lui-même s'ennuyait comme un rat mort au fond de son jardin fleuri en
attendant plus tard.
Le suicide du bouc est un acte de courage qui n'a jamais été observé
par les scientifiques. Toutefois, on peut qualifier de pur suicide, une
mort naturelle intervenue après un dur combat entre
deux boucs. Ça n'arrive pas souvent et c'est pas très malin de leur
part. Car rien ne vaut le plaisir de vivre sa vie, même en état
d'inhibition prolongée (parce que je le veau bien !).
Pendant ce temps,
la concurrence arrive. Cet ½uf fusionné, (Ah ! La fusion des gamètes !)
redevenu tout à coup à 2n chromosomes, se met à se multiplier
sauvagement, jusqu'à vouloir différencier ses tissus de manière
programmée. Puis il commence (déjà !), à avoir des crises de nerfs.
Phosphorant beaucoup trop pour son âge, il fait en retour naître ses
os, se muscle aussitôt après, pour pouvoir se défendre et attend, en se
laissant bercer que le monde se manifeste à lui. Dans ce cas là, il
attendra cinq mois. Cinq mois d'impunité, cinq mois d'opportunisme, à
apprendre à nager au bout d'un élastique...
Ensuite. Oh! Misère, c'est déjà la mise-bas. Ejecté de l’utérus comme
un vulgaire fétus de paille voici notre ancien embryon qui cherche à
voir le jour. La maman est nerveuse et après bien des contorsions
s'épanche d'un timide chevreau que nous aimons déjà, tant il est vrai
que la nature les a doté, dès leur naissance, de qualités secrètes. Au
bout de cinq à six minutes le voici presque fringant, cherchant à gober
un riche colostrum qui avait depuis quelques jours envahi tous les
acini des glandes mammaires de la mère. La première tétée est une dure
épreuve.
La mère affolée par ce qu'elle vient de faire, cherche à faire
disparaître les traces du destin. Elle mange avec avidité les
cotylédons du placenta afin qu'il ne reste plus rien de son aventure
amoureuse, sinon ce misérable petit rebut qui commence à s'agiter entre
ses pattes. Ce dernier, percevant déjà ses propres aptitudes à faire
tout ce qui est interdit, s'aventure aussitôt sur le dos des copines.
Ça promet. Un quart d'heure simplement après sa naissance, il est
capable d'alimenter un débat contre les OGM, des OGM qui comme chacun
le sait n'attendent que de naître pour se répandre d'une manière
incontrôlable et inépuisable au c½ur de nos vallées.
Mais les OGM ne sont pas les seuls dangers codifiés qui guettent
l'intrépide benêt qui cherche à « agricoler » dans un coin de nature
discret. Voici donc ici pour votre information, la liste non exhaustive
des principaux sigles, qu'un bon éleveur doit connaître par c½ur, afin
de réaliser sa production en toute tranquillité d'esprit:
ACTA, INRA, ITCF, ITE, CETIOM, SOC, CIRVAL, OMC, GATT, CRDC, PA, PV,
MSA, CA, MA, MAD, PDI, PDIA, PDIE, PDIN, PDIMN, PDIME, UF, UFL, UFV,
UE(B), VEF, DEF, DER, CI, RB, PPRBC, PPRBNC, PL, CC, CP, CT, ANP, GNRH,
FSH, LH, ABP, PGf2A, PMSG, IVV, IVSF, H², GMQ, MRLC, ADN, ARN, ARSOE,
BLUP, CNAG, CRI, CTIG, DN, EDE, F1, F2, FIA, INEL, UPRA, MOET, EPUP,
GPP, GPM, CODE IA, CR,CD, ICC,IMP, ITP, IMG, ITB, ILAIT, TB, TP, MG,
ADP,ATP, ETM,ETP, KETP, ETR, RFU, RU, NADP, PAR, PEP, RUBP, PS, NI, MS,
N, P, K, MO,(...), VL, VA, CEE, PAC, PH, PM, AA, AGV, CUD, CI, CO2,
CH4, O2, EB, ED, EF, EG…
Cependant comme vous le savez maintenant depuis longtemps, nos
objectifs de développement n'avaient trait qu'à de pures notions
d'esthétique. Et, avant que de sombrer dans le néant d'une aventure
stéréotypée, nous n’avions donc de cure que d'alimenter notre bagage de
poétique. Privilégiés que nous étions dans ce désert de verdure qui
nous entourait de toutes parts, nous lâchions nos chèvres, après la
traite du matin, afin qu'elles aillent se remplir à nouveau les
mamelles. Abandonnées dans la montagne vers "dix heures du mat", elles
en faisaient le tour en huit heures de marche et revenaient toutes
seules au bercail aux environs de six heures de l'après-midi, pour la
traite du soir. Mais nous ferons les fromages dans un autre chapitre.
Ce que je veux vous dire ici avant tout, c'est qu'une chèvre défriche
et entretient à elle seule environ un hectare par an. Trente chèvres
égale trente hectares. Hectares auxquels il faut ajouter les surfaces
toujours en herbe (STH) fauchées tous les ans, pour les besoins de la
cause hivernale. Trente plus cinq, égale trente cinq hectares
entretenus autour des hameaux par ce petit troupeau. Ce n’est pas de
l’idéologie
çà au moins ! Ce travail de titan, évite qu'on ne payasse toute une
flopée de matons à surveiller les sites contre les incendies qui
ravagent nos contrées aussitôt que quelqu'un à quelque chose
d'important à faire savoir aux autres. Mais nous réglerons nos comptes
un peu plus tard. Car cette histoire est loin d'être finie. Et il nous
manque encore, pour bien vivre ici, à exorciser le sortilège des
anciens vainqueurs. Ces brutes endémiques.
Toutefois avant d’aller plus
loin, relevons rapidement un peu le défi que nous pose de manière
incessante la gestion d'un paysage libéré de ses anciennes obligations
agricoles.
Proposition de transformation de l'ancien Système Agraire Croyant (SAC)
vers une activité Agro-Touristique (AT)
1/ gîte d’étape et de séjour |
4/ Châtaigneraie réhabilité et autres cultures |
2/ Jardin et culture de plantes médicinales
|
5/ Chèvrerie et parcours du troupeau |
3/ Aire de jeux dynamique et parcours de type « Panda» |
6/ Rucher
|
Ce que je veux dire d’autre au sujet de nos activités agro-pastorales,
c'est qu’il est déjà difficile de ne pas abandonner ce métier à cause
des tracasseries locales ou administratives. Il est difficile aussi de
ne pas l’abandonner, tout simplement parce que quand on est éleveur, il
faut bien malheureusement se résoudre à tuer de temps à autres quelques
unes de ces pauvres petites bêtes si innocentes. C'est déjà-là un
facteur limitant très handicapant. Alors quand il faut se mettre de
plus à lutter, le fusil à la main, pour obtenir quelques maigres
pâtures, ça devient encore plus pénible à assumer.
Dans ce contexte pour nous si précarisant, la troisième erreur que fit
le nouveau maire fut celle de penser que le pays lui appartenait par
droit d'aînesse (par droit d'ânesse !) car sa propre généalogie lui
permettait de remonter localement de trois générations. Contre vents et
marées, il se mit donc à capitaliser tout autour de chez nous, des
parcelles de terre jusqu'à nous interdire de cultiver un seul petit
arpent de jardin. Les « Sans-terre » locaux étaient nés, dans un recoin
d'opinion libérale.
Mais, que croyez-vous monsieur, que j’avais besoin
de cultiver un jardin afin de me nourrir ? Non ! J'étais tout
simplement là en train de m’enivrer d’espace et je le travaillais
seulement pour garder encore un peu les pieds sur terre et me
confronter encore, de temps à autres, à la douleur du travail physique.
A ce propos, croyez-vous qu'on soit venu ici pour se faire emmerder du
matin au soir par quelques hypocrites ou pour se crever au boulot comme
avant dans les usines et ne gagner que quelques clopinettes. Est-ce que
ça va bien dans votre petite tête ?! Nous sommes tout simplement le
début d'un processus de décroissance qui aura lieu ou non. Comment
voulez-vous que notre Nouvelle Economie Fraternelle (notre NEF),
coïncide réellement avec la votre ? Non mais ça va pas !
Je peux vous certifier tout de même ici que si vous m’aviez laissé un
petit peu de place, je ne serais jamais devenu parallèlement enseignant
ou même un écrivain, je serais resté paysan à temps plein. Oui monsieur
le maire, si vous m'aviez laissé tout simplement un petit bout de
jardin à m'occuper, je n'aurais jamais cherché à ameuter la terre
entière autour de cette triste condition !
Libérant les entrailles de futures batailles faites pour tromper
l'ennui, les nouveaux latifundistes locaux, se lançaient à l'assaut de
ce qui restait de l'ancienne dépouille. Sachant que la vie est tout,
sauf éternelle, on pourrait penser qu'il soit juste que les gens
perdent alors patience. Mais tout viendra à temps, car la concentration
de la propriété privée, va bientôt générer une nouvelle guerre civile.
Cela aurait été pourtant si simple que d'affecter un bout de terrain
vague, à celui qui vous le demandait si poliment. Dès lors, je vous le
dis bien haut, si dans cette vie il faut être méchant, sachez que nous
saurons le devenir.
Car au fond des nouveaux terrains vagues de l'Europe sociale, dans le
creux des massifs faits pour tromper l'asphalte, se passent bien des
choses surprenantes et équivoques. La terre
est un bien aux origines incertaines et l'abusus des élus et des petits
coquins est un centre de haine qui polarise toutes les inquiétudes,
afin de nous narguer le temps de l'aventure. Quoi de plus inquiétant en
effet que de laisser aux autres une parcelle d'espoir en forme de
jardin. Ici, pourraient bien naître quelques formes nouvelles
d'expression qui rendraient caduques les anciennes chimères que
portaient vos visions.
Vagabond de l'ennui aux formules amères, que penses-tu de ça, au creux
de tes îlots citadins aux certitudes vaines ? Penses-tu que nous
devrions combattre la race des odieux, afin que nulle trace ne puisse
subsister de leur passé glorieux (et du notre par la même occasion !) ?
Penses-tu au hasard qui commande le monde et qui fait trébucher à
chaque pas la ronde des soudards ? Nous espérions l'aurore ou tamisé
par des tanks de verdure sinistre, ce combat des titans envahirait vos
mémoires caduques. Toutefois, vous ne sortirez pas indemnes de la lutte
sans merci que mène la nature contre vos processus d'influence, ces
mesquineries locales qui hantent nos regards, ces tremblements
nocturnes à l'affût des renards qui peuplent nos destins cadenassés de
haine.
Aux tréfonds de l'oubli vous activez les peines de ceux dont le souci
réel était de vous aider à reconstruire un monde que vous aviez quitté.
Fantômes accrochés aux affres des sapins, accompagnés du stress des
retards citadins, faites-nous grâce de vos discours opaques, qui
salissent l'espace au nom de nulle part et qu'une certitude vaine a
placé dans vos c½urs de matelots aigris de la lutte finale. Dans nos
coins de verdure, loin de toute aventure, vos désirs sont abscons, vos
rêves dérisoires, face à cette oppression qui avance le voile d'un
irréversible oubli historique.
Rêves d'écomusées, rêves d'artisanats tous deux battus en brèche par
les techniques industrielles. Orphelins de vos deuils innombrables qui,
un à un, ponctionnent le sens de vos ébats pour les conduire en croix
au milieu de vos tombes, au sein d'un autre monde ravagé de périls, au
sein d'un nulle part que vous aviez conquis à force de bravoure. Mais
ce n'était plus vous qui vaquiez en ces lieux. Vous aviez désertés les
combats de ce monde bien avant que ne se dressent les nouveaux
orpailleurs de vos rives banales. Là où nous trouvions de l'air, nous
le transformions en or. Mais cette transmutation essentialiste était la
résultante d'une dialectique à laquelle vous n'entraviez que Tchi ! Le
cercle des croyances, nouveaux goulags des pauvres, vous hantait
beaucoup trop, pour que vous puissiez même envisager demain comme une
dynamique. Espèce de salauds ! J'envahirais le monde de trésors
incertains, pour que vive la ronde des destins enfantins.
La quatrième erreur que fit le nouveau maire (paix à son âme), fut
celle de ne pas prendre parti pour ce qui n'était en fait qu'une fuite
du temps. Il assassina ainsi au fond des bois toutes traces de vie,
laissant à ses enfants le soin de méditer plus tard sur les actes
accomplis par sa rage tenace.
Contredisant l'Histoire, il pensait que « plus tard » se chargerait «
d'ailleurs », simplement en invoquant les mânes pervertis de ses
ancêtres. Sur ces bases mouvantes, il pensait aussi « qu'autrefois »
pourrait être à nouveau décrété. Alors que nous l’avons vu, la vie
n'est faite en fait que de chimères. Il pensait aussi qu'après avoir
fait l'impasse de sa jeunesse au fond de vieux grimoires (la bible, le
Capital, etc.), il pourrait à sa guise décréter le temps des
festivités. Mais la fête ça ne se commande pas, sinon ça se saurait. Il
pensait donc que l'oubli ressortirait un jour de terre, au nom de son
grand-père, autre orphelin des lieux, dans ces lieux de misère quand
subsister voulait encore dire quelque chose.
Ce nouveau train des
inepties sociales, en route vers une « statuïfication » des épreuves
anciennes, n'avait plus aucun sens historique (les russes l'avaient
mené bien avant nous). Ce combat acharné n'avait plus de raison.
Pourtant, le cercle des touristes entretenait le doute sur ces nouveaux
délires. Connaître la nature sans l'avoir
pratiquée, renaître de ses cendres, voilà une utopie malsaine à
laquelle nous n'avions point pensé !
Historiciser les charmes des anciens sans avoir le modèle, les clés de
l'aventure ! Polluer les nouveaux rivages du possible par des
incantations qui demeuraient muettes de réponses, tandis que la verdure
continuait son ½uvre. Oxygène bâtarde de vos élans marqués du sceau de
l'amertume, d'avoir compris trop tard que notre route irrigue des voies
de communication vers de nouveaux systèmes aux accès verrouillés par
votre propre incapacité d'en percevoir les codes.
La lumière est en
nous, elle n'est pas hostile mais simplement indifférente à vos
lointains émois. Ces routes intrépides conduiront vos enfants, vers de
nouvelles sources, des sources faites pour abreuver le sens de leurs
émotions, et ces routes sont construites sur votre retard mental à
apprécier l'espace-temps. A dépasser l'aubade.
Nos plantes transgéniques seront dorénavant le fruit de nos concerts
nocturnes à écouter pousser les choux, émus par le silence qui tombe
des étoiles. Cette obscure clarté qui fait naître en nos c½urs des
possibilités d'inassouvis modernes. Loin des statues de marbre de vos
derniers enchantements, nous construisons nos mondes de nouvelles
raisons, des raisons aliénées par le sens de nos valeurs fécondes. Nous
enfantons en même temps, des traces d'opprimés à la face d'un monde,
tout occupé encore à vaquer par ailleurs à d'autres artifices.
Monde de
travestis, erreur de vos ovules, vos femmes étaient là pour épuiser vos
rêves. Nos femmes seront là, pour équiper nos livres. Lieux de tous les
hasards où déjà s'entremêlent nos gènes impatients d'avenir, impatients
de montrer qu'au bout du tunnel noir, se précisent des aubes aux
nuances mortelles pour votre condition. Echiquier noir des sables,
palettes d'avenir où nous saurons trouver des bleus autrefois inconnus,
des qualités de rouge sacrifiant vos rancunes, des qualités de jaunes
approchant le soleil.
Tout est là sous vos yeux, mais vous ne pouvez voir l'impossible, car
il faut le construire avec ses propres mains. Nul besoin de mitraille
pour vaincre vos retards, il suffit de penser que vous êtes coincés
derrière des barreaux en croix, à contempler la mort qui se dessine
dans les méandres de votre propre vie. Vous compterez-vous alors au
nombre des élus perspicaces, ces mystiques de l'ordre qui encensaient
vos actes à chacun de vos crimes, des crimes accomplis uniquement pour
souder l'enclume de nos ressentiments.
Cohortes vagabondes, faméliques témoins du manque de réserve, du manque
d'utopies, des utopies que nous avons conquises à force de nous croire
au dessus de vos têtes encapuchonnées de morve. Traces des temps
anciens ayant servi nos crânes à proférer demain (ce nouvel
espace-temps), à construire des ponts plutôt qu'à les détruire à l'aide
du venin des outrages quotidiens ou dans les aléas des crottes de
sangliers ou de biches, dans ces empilements ignobles d'immondices,
faits pour véhiculer la peur des précipices, faits pour que vos enfants
n'aillent pas voir chez nous, ce qu'il y a de trouble.
Espèces de racistes, espèces de fascistes, votre tour est passé ! La
main sera à nous. Sinistres dromadaires acculés au comptoir des
illusions perdues, dans les mares de sang que vous faites gicler au
seuil des firmaments, pour empêcher vos propres têtes de sombrer dans
le vide de notre opportunisme à dépasser le temps, de notre
clairvoyance à empêcher l'Histoire, à envahir l'espace que le temps a
fait nôtre, pour combler vos regards.
Oui, nous sommes bien les transfuges de votre folie noire à empêcher
les trains de nos trêves bavardes, à empêcher l'oubli dans de nouveaux
ébats, en marge de vos sens cernés de turpitudes. Les événements à
venir seront à notre charge, car c'est nous qui présentement
construisons l'histoire de ces lieux, pour les charger d'un rôle que
nos sens aiguisés aiguillonnent de rêves. Pour peupler l'aventure de
destins facétieux, de clowneries nouvelles, d'absence d'au-delà, afin
qu'il n'y ait pas (plus) d'équivoques sur le sens du mot attente.
Nous avons inventé les nouveaux trains de l'exode, des trains qui
finiront peut être incendiés par de futurs malades mentaux, une fois de
plus irrémédiablement marqués du sceau de l'infamie.
Loin des raz de marées, nous construisons les quais pour pouvoir
accoster en marge du Système, fabriquant de nos mains les futures
escales de vos c½urs dépourvus d'avenir. Décousant le harnais de nos
tentes dorées. Affaiblissant l'espoir de pouvoir reculer. Stoppant
l'ode des rois pour vous emprisonner.
Au lieu de nous aimer, nous nous
sommes sentis, nous nous sommes léchés. Au lieu de nous haïr, nous nous
sommes penchés sur l'inconstance folle (l'incontournable folie) de nos
actes charnels et au loin des flaveurs obscures de buissons enflammés
(aux crèches de vos sens), quitté notre amour propre, fait de pâles
reflets, encensés nos destins imprécis le long de travellings vidés de
sens..., ces prisons de vos superbes plans accrochés à la toile de nos
rêves tordus. Le cinéma nous hante beaucoup plus qu'il ne faudrait. Je
vous propose pourtant ici, le scénario d'un autre âge, sans turpitudes
célestes, sans divines raisons là, où la préhistoire nous attend dans
des limbes (les laves) incandescentes de baisers assoiffés d'avenir.
Nous pourrons dès lors mettre en route une pensée réellement
automatique, dépasser la comptine aux beuveries tactiques, stratifier
nos encens en couches susceptibles de se désagréger au moindre
effleurement de microscope à balayage électronique, pervertir vos
gâteaux, ensemencer de larmes le coulis de vos observations lacunaires
pour ne pas dire vacantes.
Redresser vos épaules pour mieux vous faire
porter le poids (le deuil) de votre connerie, ensanglanter l'espace de
destins anonymes, accrochés aux wagons de la sainte famille des
croyants affamés. Ces destinées tâchées d'horreurs posthumes, cernées
par tous les corps qui n'ont su exister autrement, qu'en faisant le
sens de vos décors (et de vos marchés!).
Nous vivons dans un système marchand dont nous voulons maintenant
maîtriser les contours.
Nous survivrons par delà les combats, les
terribles attentes, les retours saccagés, les allées et venues entre
vos choix si ternes, les remparts démodés de vos superbes fermes, aloi
de nos désirs, cernés de vie nocturne.
Mais il est temps de revenir vers toi, rond point de nos recherches.
D'ailleurs, il n'est pas de bon ou de mauvais sort, ce sont les gens
qui ne vivent pas très bien ce que les autres leur proposent
occasionnellement. Mais si nous arrivons précisément déjà à aller
au-delà de vos rêves actuels, c’est que nous avons déjà créé d'autres
mondes, c'est qu'il y en a peut-être encore d'autres à découvrir.
Pour nous, votre société élitiste ne donnera plus rien car elle n'a
déjà plus d'objet et le seul niveau intéressant qu’il vous reste à
vivre, c’est celui d'observer les cercles de notre poésie en train de
se refaire une santé au milieu de ces bois, car tant que vous
n'arriverez pas à notre degré de révolte, vous resterez éternellement
les croyants infantiles de vos propres réalités.