Dans
ces années d’amusements subtils, la vie d’une communauté marginale
écolo était alors basée sur une forme de mouvement perpétuel qui aurait
sans cesse été à la recherche d’un certain point d'équilibre. Cette
approche acrobatique était elle-même sans arrêt contestée par les
allées et venues incessantes des nouveaux membres qui intégraient
spontanément le groupe communautaire et qui le forçaient à une
ingestion et à une digestion continuelle de nouveaux horizons
culturels.
Dans ce contexte, une fois atteint ce point d’équilibre, le plus
difficile était de le maintenir car il était relativement dépendant de
l'attitude même des individus qui composaient ce groupe. Chacun luttant
de son coté, pour repousser les frontières de la folie qui l’habitait
alors. Cette écolo-attitude consistait entre autres, à trouver
continuellement de nouvelles formules et fonctions à l’être, des
formules et des fonctions toutes les unes plus fantasques que les
autres. Dans ce domaine, les exemples générés autour de cette forme
d’anarchie dynamique, ont abondé. Cette formule magico-marginalo-écolo
sous-tendait, que plutôt que de rationaliser à l’extrême une situation
donnée à des fins structurales, on devait y intégrer de préférence,
tout ce qui pouvait paraître le plus irrationnel dans les comportements
humains. Ce qui, dans le fond, revenait à essayer de mettre en place un
Système de pensée interactif et instantané.
Il faut avouer que c’était intellectuellement très fatigant à suivre et
que l’image extérieure donnée par un de ces groupe était alors
généralement à la hauteur de la confusion qui régnait en son sein. Les
exemples latents de l’application des points de vue les plus
irrationnels dans le domaine de la vie courante ont été innombrables et
parfois inénarrables. Ils sont allés de la tentative de vivre à plus de
deux mille mètres d’altitude sous un tipi en plein hiver et sans
chauffage, à la culture des mauvaises herbes dans son jardin afin
d’arrêter la prolifération des pucerons dans ce dernier.
Ce livre se veut aussi le reflet indirect de quelques unes des plus
belles expérimentations dans l’application d'un grand nombre de thèses
utopiques à un système environnemental donné. La base commune de la
réflexion étant la plupart du temps relative à la mise en place d’un
moyen infaillible de faire fortune sur place ou tout au moins d’arriver
à y survivre. Pourtant, dans beaucoup de cas et certainement par malice
de leur part, la plupart des membres qui tentèrent l’aventure,
espérèrent secrètement que leur tentative de survie programmée avorta,
ceci tout simplement, pour ne pas avoir à mener un combat trop rude ou
trop long, un combat qui aurait pu les conduire à revivre leur état
antérieur, cet état qu’ils avaient si vaillamment laissé tomber un
jour, sur un autre coup de folie.
Pour se mettre en condition, chacun, faute de mieux, essayait donc
momentanément de se servir du cadre naturel qui les entourait, car ce
cadre permettait en général aux individus les plus sensibles
d’atteindre assez rapidement un état mental qui les rapprochait au plus
près de leurs plus secrètes aspirations.
A partir de là se réalisait, au jour le jour, une forme de sélection
naturelle. Dès lors, cette sélection permettait entre autres, de
repérer au sein d’un groupe, celui qui exprimait la meilleure
potentialité à générer un nombre donné de nouvelles options. Le
personnage le plus intéressant restant, pour son entourage, celui qui
aurait spontanément le plus grand nombre d’idées à mettre en
application. De cette manière, on arrivait au bout d'un certain temps à
déduire des comportements de chacun, un petit, je dis bien un petit,
cloisonnement des genres par rapports aux pôles d’intérêts exprimés.
Dans l’ordre nous avons le tableau suivant à proposer:
Les musiciens ou autres artistes (structuration des utopies) |
52%
|
Les ferrailleurs ou autres brocanteurs (recyclage du matérialisme) |
18%
|
les maçons ou autres adeptes de la rénovation (rénovation de
l’Histoire) |
11%
|
Les agriculteurs ou autres défenseurs de l'environnement (la bio,
l’écologie)
|
7%
|
Les autres artisanats métaphysiques |
5%
|
Autres |
3%
|
Les dealers
|
2%
|
Combiné |
2%
|
Toutefois, avant d’entrer dans le détail des déterminismes locaux, il
nous faut parler tout d’abord, de la vision extérieure que donnait
cette communauté, à tout observateur imprévu. Avec ses membres la
plupart du temps hirsutes et crasseux, dépenaillés ou habillés de
loques, s’activant dans un va-et-vient incessant, désordonné et
anarchique à essayer de donner un sens à leur existence individuelle ou
de groupe.
C’était la vision la plus commune et la plus rassurante pour le Système
dominant, car la seule image fugitive que renvoyait cette communauté
rassurait tout esprit conventionnel sur le bien-fondé immédiat de son propre
engagement historique et social. Ceci, il faut le dire, que cet
engagement soit le fait du prolétaire de service, de l’académicien d’Or
Messoné, du politique courroucé, du littéraire féru d’art ou du simple
commerçant vertueux.
A cette représentation peu ragoûtante qu'avait chacun des individus
composant la société conventionnelle, du groupe communautaire,
pouvaient s'ajouter, au moins deux autres types de frayeurs. La
première correspondait à une forme de peur panique intériorisée, de ce
que leurs propres enfants, attirés comme dans le conte du joueur de
flûte, ne fassent un jour partie d’un de ces groupes d'hurluberlus. La
seconde, plus palpable, était faite d'une défiance constante quant aux
réactions imprévisibles qu’auraient pu avoir, à leur égard, certains
membres de l’un de ces mêmes groupes. Dans ce cadre, l’intérêt de la
situation correspondait alors à l’intensité de paranoïa ainsi libérée
par ce genre de possibilités diffuses.
Pour faire court et échapper ainsi à la mise en place d'une enquête
exhaustive auprès de chacun des représentants cités ci-dessus ou pour
échapper plutôt à la définition trop rigoureuse d’un corpus
représentatif, nous allons voir ici, dans deux cas de figure précis, la
différence de qualité paranoïaque ainsi libérée sur le terrain, auprès
des principaux acteurs.
Tout d'abord, nous commencerons par étudier dans ce chapitre et de
manière approfondie la vision que la classe politique avait en son
temps, des marginaux communautaires. Puis, nous tenterons dans les deux
chapitres qui suivront, de décrire l’interaction intercommunautaire, ce
qui à mes yeux, semble bien correspondre ici aux deux pôles les plus
représentatifs de cette mise en scène. C'est pourquoi, cher adepte,
pour tenter de dénouer ce n½ud gordien qui chaque jour nous étrangle un
peu plus, je t'envoie tout d'abord, cette lettre que j’ai écrite au
front.
Res’Cousses le 1er Mai des années 70-80.
Salut les zouzous,
La marginalité, de par ses pratiques très hachichines, a été perçue par
la classe politique comme la négation des valeurs conceptuelles du type
de société qu’elle défendait (qu'elle prônait) elle-même. En ces temps
maléfiques, le pouvoir politique qui se targuait d’être auprès de tous,
la représentation immédiate des aspirations d’une époque ou d’une
partie majoritaire de la société, a rejeté et puni (donc marginalisé),
parfois d’une manière impitoyable, tout ce qui ressemblait à une
contestation possible de son modèle de survie historique. Il a ainsi rejeté sans
ambages ce reflet de la liberté d’expression, un reflet chaotique
projeté de manière difforme sur les écrans de l’ennui, par les
lentilles déformantes des mass média glapissantes.
L’image d’Épinal la
plus terrible de ce conditionnement sociétal ayant été traitée à
l’époque, dans un film d'art et d'essai, «La coupe à dix francs», et,
la plus divertissante véhiculée par un journaliste de Radio Mon Cul, un
journaliste qui passait son temps à radoter sur le retour de « l’enfant
sauvage ».
Aidée de ses zélotes et fonctionnaires dévoués, la classe politique
n’eut donc aucun mal à faire passer les mouvements alternatifs pour de
sérieux fumistes (évidemment), ainsi qu’à les opprimer régulièrement à
l'aide de son bras armé, je veux parler ici plus particulièrement de la
gendarmerie.
Cependant la répression locale ne fut jamais à la hauteur
des aspirations profondes des agents les plus dévoués et, tels des hydres sans
cesse renaissantes,
les mouvances parallèles, les mouvements associatifs et alternatifs,
créèrent de manière incessante de nouveaux foyers d’infection,
sollicitant continuellement par là même, de nouvelles formes de
répression et de guérison. D'ailleurs, à cette époque-là, du point de
vue borné des politiques, l’idéal communautaire ne pouvait être généré
que par des thèses Marxistes ou Marxisantes (et ceci pensait-on, à un
degré de solution différente suivant les modèles en cours), alors
qu'émergeaient pourtant çà et là, les horizons écologistes.
Utilisant un manichéisme dépassé, les politiques n’eurent aucune
difficulté à faire passer le souffle communautaire, d’une part, comme
un des foyers de subversion des plus dangereux qui soit et d’autre
part, comme les prémices d’une société décadente basée sur les plaisirs
de la drogue. A partir de là, les coups les plus bas furent autorisés
et on peut même dire que dans ce domaine, l’Etat de sûreté, par la
bassesse des moyens mis en ½uvre, est resté le maître incontesté de la
confusion sociale. De l’infiltration policière des mouvances citadines,
à l’affaire du bateau de « Greenpeace » qui plus tard fera mondialement
la une, la liste est longue et dans ce sens, les différents sinistres
de l'Intérieur resteront bien, à nos yeux, les archétypes les plus
représentatifs de cette époque épique.
Nous nous autoriserons
simplement ici et là à condamner leurs principales bavures et à sourire
de l’étroitesse de leurs perspectives.
Toutefois, l’affaire du « Rainbow Warrior » par exemple (affaire qui
donnera aux écologistes leur premier vrai « martyr »), la barbare
intervention des forces de l’ordre à la grotte d'Ouvéa, les manoeuvres
militaro financieres autour de l'accaparation des matières premières,
ainsi que les transgressions successives de la nouvelle loi «
informatique et liberté », demandent une étude plus approfondie et plus
fine de l’approche subjective du pouvoir quant à la mise en ½uvre de
ses aspirations les plus secrètes. Car pour bien gouverner en effet (en
un mot, pour détourner correctement l’attention), il faut que le
pouvoir ait quelques ennemis et s'il n'en a pas momentanément, il les
crée derechef à sa mesure. Nous émettrons donc ici, à l'encontre de
cette vision bornée de l'Histoire, une théorie de la fixation politique
et policière autour de quelques axes de contestation conventionnels
(pendant ce temps, pendant que les chefs détournent de l’argent, on
peut rêver ailleurs à autre chose).
Mais, avant d'expérimenter dans le secret de nos laboratoires
clandestins ces nouvelles utopies, on prendra le soin de préciser que
l’acharnement mis en ½uvre par certains groupes sociaux minoritaires, à
remettre en cause les structures les plus fondamentales de l'Etat, ne
trouve son explication que dans le même acharnement que mettent en
½uvre d’autres groupes sociaux minoritaires, à préserver les mécanismes
et les structures de ce dernier en l'état. C'est pourquoi, cher ami, il
ne saurait être question de faire le procès des uns en oubliant la
responsabilité pénale des autres.
Dans ce cadre restreint des réalités historiques possibles, nous ne
pouvions dès lors que nous persuader, à un moment donné de la vie (de
l'Histoire) et face à toutes les réelles injustices qui s’accumulaient
devant nos yeux et à l'intérieur de nos têtes, qu’il n’y avait pas
d’autre échappatoire que de chercher à affoler au maximum, le pouvoir
en place (par la technique du toréador). Un pouvoir qui se moquait en
définitive comme de sa première tétine, de toute forme de dialogue et
qui pour nous, ne voulait finalement que protéger ses propres
privilèges et ses propres intérêts.
Dans ce sens, malgré l’idéologie basique qui caractérise le plus
souvent le comportement des groupes humains contestataires, nous ne
pouvions faire quotidiennement au sein de nos propres groupes de
réflexion, que le constat des incessantes brimades que nous subissions
et ceci simplement au nom d'un fumeux « consensus social ».
A partir de
là, et bien que nous mettant à raisonner de notre coté, sur le
bien-fondé de telle ou telle option subjective
que nous développions au sein de nos communautés, nous savions
pertinemment que l’on nous empêchait avant tout de faire passer la
plupart de nos idées.
Comment le pouvoir pouvait-il générer autant d’animosité autour de lui
? Comment se faisait-il que la radicalisation de nos points de vues,
soit à ce point nécessaire ? Pour nous c’était pourtant simple, plus on
s’élevait dans la compréhension des choses de l’Etat et des motivations
profondes guidant le comportement des êtres politiques et plus on
s’apercevait que la raison d’Etat, ne cachait en général, qu’une
méconnaissance totale de certains types de problèmes ou qu’un
aveuglement entêté à vouloir défendre des idées et des intérêts
dépassés (Notion de cache sexe).
Nous nous trouvions ainsi assiégés dans une forme d’impasse sociale,
face une paranoïa invraisemblable du pouvoir vis-à-vis des groupes
marginaux potentiellement « terroristes ». Feinte ou véritable, cette
paranoïa entraînait un processus global de détermination sociétale à
l’encontre de tout ce qui pouvait être différent du modèle proposé. Ce
déterminisme s’exprimait de fait soit par pure idéologie de type
productiviste ou progressiste, soit par faiblesse psychique des
individus face au conditionnement en cours, soit par totale
méconnaissance des problèmes sociaux et environnementaux.
Nous étions aussi dans une époque où jamais le pouvoir policier n’avait
atteint une telle superbe. Jamais, parallèlement, il n’y avait eu
autant de personnes ayant le droit au port d’arme: chasseurs, police,
polices parallèles, gardiennage, transports de fonds, surveillants
d’édifices publics ou privés, agents de la circulation, motards, CRS,
GIGN, flics en civil, plus l’armée et les autres personnes admises au
port d’arme. « A quand les gardiens de musées, nous demandions-nous en
aparté ? ». De plus, jamais ces armes n’avaient été aussi
sophistiquées.
Il faut dire enfin que jamais dans l’Histoire de l’Homme, la défense
des aspects formels de l’Etat matérialiste ambiant n’avait atteint un
tel délire et ceci à tous les niveaux: écoutes téléphoniques,
transgressions incessantes de la loi informatique et liberté,
interdiction des radios locales, détournement des fonds de la sécurité
sociale, remise en cause incessante du droit du travail, racismes
divers, droits à la différence, liberté d’expression muselée,
paupérisation sociale, impositions démesurées, prisons surpeuplées,
hargne et violence sociale (nervosité de la gâchette), canalisation de
la violence créée artificiellement (séries policières). Jamais non plus
en contrepoint, les ficelles du pouvoir n’avaient parues aussi grosses,
aussi voyantes. Ceci, tout en exaspérant les uns, arrivait à faire
encore rire cyniquement les autres.
Mais jusqu’où ce type de dialogue
de sourds était-il donc possible ? Vers où pouvait aller cette
incompréhension mutuelle et pourquoi penser qu’un changement de cap
était en soi une marque de régression ? Etions-nous les générations
montantes, rejetées au loin, sur les rivages du progrès et surtout sur
les rivages du profit qui devaient revenir, afin que s’accomplisse le
sortilège ? Mais de quelle manière ? Là était toute la question...
Que faire devant cet entêtement absurde à vouloir défendre à ce point,
les conceptions d’une société en pleine décadence ? Quel pouvoir de
changement avait une génération sur l’autre ? Comment accepter par
exemple, que l’on puisse nous parler à longueur de journée, des «
droits de l’homme » et de « démocratie », tout en nous menaçant
continuellement un fusil à la main ? Comment accepter que l’on nous
parle de justice sociale devant les coffres-forts du profit pleins à
craquer ? Devions-nous taire toutes les injustices ?
Car, même si dans le fond nous acceptions notre condition sociale
(humaine et cosmique), ce que nous refusions avant tout, c’était le
cynisme et la menace permanente de la nouvelle race de profiteurs qui
émergeait dans les arrière-boutiques de la consommation. Ce que nous
refusions c’était cette forme de militarisation du monde ouvrier.
Devait-on défendre les usines avec (ou contre !) les compagnies
de CRS ? Devait-on obliger les gens à aller à leur travail encadrés par
une haie de policiers ? Dès lors dans notre tête, c’était
donnant-donnant. Soit l’Etat par des mesures régulées acceptait une
historique récession économique et nous acceptions de notre coté, une
récession idéologique, soit nous sombrions dans le chaos (KO) d’un
univers consumériste incontrôlable.
Dans nos esprits féconds et turbulents, la simplification des rapports
entre les gens que nous envisagions, revenait simplement à créer plus
de temps libre, à créer aussi des espaces tribaux différents de la
norme, des espaces dans lesquels on aurait pu dès lors se dédier à
donner une autre dimension à la vie. Nous étions donc loin d’un simple
retour primitif à la terre face au monde merveilleux de la consommation
citadine, nous étions seulement les prémices d’une tentative
d'adaptation de l’espèce à de nouvelles réalités historiques (par
exemple contre les allergies, qui partout commençaient à pointer le
bout de leur nez). Ce faisant, en refusant en bloc le modèle économique
en vigueur, nous acceptions aussi de faire l’impasse sur une partie des
folies sociétales qui accompagnaient le délire consumériste. Etait-ce
si grave que ça, docteur ?
Et pendant que la plupart des gens rêvaient tout haut à la radio ou
devant leurs téléviseurs au monde de demain, nous avons commencé à
déplacer tout doucement le problème entre les salons citadins
surpeuplés et le désert rural français. Vers la proposition d’autres
types de valeurs. Penses-tu mon ami, qu’un jour ils accepteront ce
futur Etat qui émerge ?
Jarry-Valarez Cousses.