Mais
faisons le point et avant de déclencher les premiers tirs de barrage,
examinons d’une manière plus approfondie notre situation. Nous habitons
en vagabonds, une concession dans un petit paradis perdu et ceci, dans
une contrée des plus reculée de notre bonne vieille Terre. Mais cet
éden est morcelé, c’est une proie qui a auparavant été dépecée, par
un
peuple de loups errants fuyant la servitude (ancien os).
Depuis lors,
il appartient respectivement à plusieurs individus ou groupes
d’individus.
Par ordre de voisinage et aussi par extension, nous
citerons dans l’ordre, du physique au virtuel, les gens se considérant
comme les
propriétaires imaginaires du paradis terrestre, là où l’on a
cru avoir nous même, le droit d’explorer nos futures erreurs,
d’expérimenter nos fautes.
N’oublions pas aussi, que nous sommes à l’intérieur d’un Système de
production donné, représentatif de forces en présence qui sont à la
poursuite de nouveaux désespoirs et qui cherchent sans cesse à donner
un sens au chaos qui les entoure. N’oublions pas non plus que de notre
coté, nous espérons devenir un jour,
les futurs maîtres du temps...
Près de chez nous vivait une angoissante multitude. Près de chez nous
vivait le souvenir des autres, ces icônes accrochées aux pentes du
hasard, aux murs des indifférences multipolaires. Mais partout est
ailleurs et ici nous étions cernés par d’anciens légataires et
d'anciens légionnaires, ébranlant notre foi :
Anciens propriétaires, aux
m½urs espérantistes, sacrifiant leur passé à
créer l'avenir. Anciens compagnons d’âme, revisitant sans fin le décret
des servitudes, remisant à jamais du haut de leurs lectures, tout
sentiment d’envie, tout désir d’être aimé. Reliques de nos c½urs,
assoiffés d’inconnu.
Anciens
agriculteurs, qui nous faisaient l’aumône, d’un arpent de
tendresse et de compréhension, lorsque les soirs sans lune nous allions
nous cacher, loin des feux de la ville, entre leurs souvenirs aux rares
certitudes.
Anciens passagers de ce hameau discret, prêt à nous massacrer d’un élan
de terreur, transplantant des sapins là où poussait de l’herbe, là où
vaquait l’aïeule, là où pissaient les chèvres. Cherchant désespérément
à comprendre le non-sens de notre lieu (le non-lieu de nos sens).
Cherchant aussi à comprendre leur propre oubli, dans des
spéculations
stériles autour de leur départ. Vaines complaisances intimes, endormies
à la lisière de leurs friches intellectuelles et réveillées en sursaut
par l’arrivée d’éléphants roses.
Anciens épouvantails, armés de croix divines, porteurs de fois taries.
Samaritains détournant toute l’eau à leur profit, afin de bénir sans
arrêt leurs propres vies de
damnés. Priant l’apocalypse avec des
arguments sortis du précipice d’une santé mentale douteuse. Promulguant
le décret de croyances imbéciles, par d’indignes versets à la portée
des singes. S’appropriant l’espace au nom d’un dieu impie, sacrifiant
leurs enfants aux rites d’un autre âge, quand d’anciennes ténèbres
masquaient encore les Lumières.
Anciens chasseurs/cueilleurs, enivrés d’amertume d’avoir à se servir de
pétoires si douces, alors que les fusils-mitrailleurs et les
lance-roquettes les attendent en lieu sûr. Analphabètes de la vie
sauvage, regrettant les instants où l’on chassait pour vivre et nourrir
les enfants.
Saupoudreurs de mitraille au c½ur des instincts de survie.
Anciens forestiers et garde forestiers, déserteurs d’Orénoques et de
Saharas occidentaux, vaincus par l'eau de là, occupés à planter des
sapins à
l’aide de la guerre, colonisant nos plus beaux paysages, nos
plus beaux points de vue, fignolant le travail jusqu'à laisser se
pendre les derniers paysans, ces polisseurs de prairies, qui du soir au
matin entretenaient les pentes, et s’occupaient à mâter les rejets de
leurs arbres, afin que les lapins se patinent les dents.
Anciens habitants de ces contrées exsangues, se plongeant dans l’extase
d’un folklore devenu fratricide, souhaitant le départ des derniers
combattants
pour pouvoir vivre ivre. Refoulant par là même l’arrivée
des nouveaux pionniers de l’impossible, ce non-sens historique, cette
fuite du temps aux basques du bonheur. Ayant pour tout désir de vider
l’horizon, de toute une
série d’actes de déraison, d’éparpiller ce
sable sur l’autel de l’oubli, afin que personne ne sache ce qu’ils
avaient acquis (et surtout, comment ils l’avaient acquis !).
Anciens des commandos, reprenant du service, pour faire naviguer leurs
boussoles débiles, attirés par
le vide des horizons anciens.
Parachutant des armes, sur les sentiers déserts, pour que les
fantassins envahissent une dernière fois nos cours et nos jardins.
Contents d’être vainqueurs, faute de ne pouvoir satisfaire autrement
leurs idées de débauche qu’à l’ombre de petits soldats de plomb.
Anciens hommes d’Etat nécrophages, attendant les avis de décès, pour
pouvoir se servir, récupérer les terres insoumises de leurs
prédécesseurs, collaborer à la gestion du désert qui s’annonce dans
l’amoncellement des friches. Nouvelles terres vierges pour les
élevages
d’escargots arpentant les labyrinthes de l’administration.
Anciens américains bardés d’insignes, calculant avec les représentants
des barrières divines, de nouvelles frontières. Poseurs infatigables de
jalons (et de
mines) le long de nos vallons. Intrigant nuit et jour
avec l’aide du diable. Envahissant l’éther d’ondes mirobolantes, pour
convaincre le temps de leur donner raison.
Anciens russes ayant perdu leur candeur à la lueur de l’
Histoire
récente, prêchant des prophéties dignes de figurer au fronton de
l’oubli. Mais évitant les pièges, assiégeant nos frontières d’idéaux
incompris, entretenant le doute sur ce qui les poussaient à voler à
notre aide.
Anciens extra-terrestres, profitant de nos faiblesses pour envahir les
lieux... Car quelque part dans l'espace, il y a sûrement quelqu'un qui
ailleurs
attend pour nous coloniser et dans le fond, nous le méritons
bien peut-être. Mais imaginez-un instant la déraison de paraître moins fort que d'autres, de
passer pour des
espagnols perdant leurs guerres contre de
nouveaux
mayas venus du fond des temps.
Voilà ! Ca fait beaucoup d’anciens pour un néophyte cartésien et une
fois posés les personnages et que le décor est en place, nous pouvons
deviner ce qui va fatalement se passer au sein de cet espace clos plein
de ressentiments.
Dès lors, sur cette terre, nous nous sommes battus contre vents et
marées, passant la plupart de notre temps à décoiffer la bise, à
décroisser la lune, anticipant toujours les pelures d’oignons. A nous
frotter les yeux, au fond de l’hébétude, au fond de l’habitude, pour
vaincre les ornières, pour changer de tanière.
Peuples de non-croyants, compagnons d’infortune, passagers de l’envie,
passagers de l’ennui, vous nous faites chier avec vos certitudes !
Monde de petits princes déchus, nurseries de cocus, les nouveaux
assassins arrivent de l’espace !
Ici, nous dirons tout ce qui est insondable, même les fruits amers de
nos luttes banales. Au fond de ce secret charmant, à l’aune de nos
peines, dans ce vil horizon, dans l’expérience du non-dit, dans
l’intériorisation du non-accompli, nous vous ferons l'aumône de nos
sens. Dans ce désert glacé d’expressions assassines, comme un
indélébile émoi de nos c½urs silencieux, nous planterons nos tentes.
Echelles de rêveurs, aux barreaux de fortune. Accession aux états
infestés d’avenir lorsque les va-nu-pieds nous comblaient encore de
bonheur. Cercle de nos ennuis. Porte des espérances, aux habits
d’insouciance déchirés, ouvrant vers des ailleurs pourris. Pestiférant
l’espace au nom de l’impuissance, nous instruirons vos c½urs.
Dans ce raz-de-marée organisant la vie, d’un souci vigilant du réel,
nous rêverons le monde. Accrochés à l’avis de nos sens incomplets, dans
une volonté vague de déclencher la mort au péril du néant, nous
creuserons nos tombes, anoblissant ainsi le geste refoulé du hasard par
d’incalculables v½ux pieux. Et ainsi, attentifs au chenal de nos
pensées volages canalisant l’oubli, nous gravirons les pentes.
Effluves du néant. Mornes déserts de brumes. Fourreaux sombres d’épées.
Chimères d’inconnus. Au loin la route est large, vagabonde, incertaine,
dans des flux de hasard, colonisant l’ennui. Chemins assimilés à
des hordes sauvages, lorsque les cavaliers arrivaient en retard et
prenaient l’assistance à témoin pour mieux nous fusiller.
Longues
marches hagardes rivées à l’essentiel, détruisant nos regrets,
anéantissant ainsi les signes d’un passé imparfait ou d’un
plus-que-parfait.
Passants de nulle part, entretenant les gerbes de nos combats perdus.
Tempêtes des non-sens. Orages d’Interdits. Luminescents éclairs.
Caveaux de nos désirs. Incertitude noire. Galères du bonheur. Epicentre
des marges. Nous volerons vers vous.
Lointains azurs bleutés, salis par des torrents d’asphalte,
s’évanouissant dans l’excès de vos rives, au son des magnolias et des
palétuviers. Brassage des idées. Migration des torrents. Archétype du
mal, s’évertuant à faire ce que l’on n’ose pas, ces soucis du détail,
soucis d’inconsistance. Gardiens des matins rouges. Déraison du
miroir obstruant notre vue (notre champ de vision). Emblèmes d’au-delà
ritualisant l’espace de vains efforts déçus par la charge insipide de
nos regards ténus. Tempêtes d’incendies, peut-on tout se permettre ?
Au loin les barges filent vers une ocre indécente, faites d’amers
remords revendiqués sans cesse, par les couches internes de nos cerveaux plombés.
Quand l’innocence veille à ce que nous gouttions de plus inachevé :
l’esthétique profonde de nos refoulements. Fruits de nos couilles
molles, parsemées d’odorat, colorées de nectars. Cuisses évanescentes.
Puits de notre amertume. Courage de nos pieux dégoulinants d’urine, le
long des déserts épineux et des seins de velours, maculés
d’inconstances. Amour de vos séquelles. Firmament de nos peurs.
Couillonnades aux seins durs. Lutropine féconde. Saint Augustin des
nonnes.
Je traquerai vos souvenirs jusqu'à la fin des mondes, comme un boisseau
d’idées à mettre en mon fenil