C’est
dans ces ports, près d’une banquise de brumes, que vont prendre corps
les chimères industrielles des
futurs urbanistes. Au son des lampions
et des cornes de brumes, à la lueur de pâles halos festifs et sous
d’énormes quantités de bière, commence là, une vie faite d’avortements
citadins et d’aller-retour dans des trains en partance pour jamais. Une
vie muette d’espoir. Une vie déçue d’être si terne. Une vie faite de
tentatives de compagnonnages réciproques mais artificiels. Une
difficile route à travers l’industrie noire des cheminées, vouée à la
réalisation d’idéaux malveillants et cherchant son chemin (son destin
?) à travers les tours de béton et d’acier - Intégration sordide à une
migration incontrôlable allant d’un pays idéel mais fini, vers un pays
aux logiques sélectives socialisantes - Marche forcée de
travailleurs
soumis, vers l’horizon emblématique des drapeaux de la Révolution
Industrielle.
Quelle casse ! Quel casse-pipe ! Personne pourtant ne
vous a en aucun cas, demandé de bosser à ce point, toute une vie
durant, comme des abrutis !
Afin de vérifier ces dires et ces faits anodins, n’avez-vous donc
jamais avec les ouvriers, travaillé en usine ? Subi avec eux le regard
morne des
machines-outils ? Côtoyé ensemble et au quotidien, le
vide
des rapports
déshumanisés, parcellisés, robotisés, racialisés ? Subi
auprès des cadres, cet inconscient collectif qui induit qu’à tout âge
doit correspondre une prise de conscience différente ? Une prise de
conscience éternellement influencée et conditionnée par la faiblesse ou
par la force de nos misérables idéaux, des idéaux eux-mêmes comme
inlassablement retracés et pervertis, par les révélations ritualisées
de dogmes à l’affût du moindre dérapage individuel ou collectif.
N’avez-vous jamais suivi comme des ânes bâtés, la lettre de cette
nouvelle religion sans dieux, une religion structurée autour de maîtres
de céans, toujours plus antipathiques et autour d’idoles (d’idéologues)
chantant les sacrifices au son de la réussite individuelle ou sociale.
Passage d’un christianisme vacant à une charité morbide, une charité
elle-même égrainée çà et là au jour le jour, mensualisée ou journalisée
comme elle l'était avant, ailleurs, au fin fond du pays des corridas.
Ce nouveau
pain bénit des pauvres.
A l’heure où le soleil est bas. A l’heure où ce dernier commence à être
las de briller pour ce modèle déjà ancien. A l’heure où les derniers
idéaux s’enlisent dans
le cambouis des sables du désert. Lorsque la
pollution vient submerger d’un voile opaque la conscience des
vainqueurs. Lorsqu’on sait qu’il sera désormais impossible de continuer
à tenir cette réalité, on peut se demander alors, qui va demain avoir
dans ce monde, une raison décisive d’y vivre ? A qui va revenir ce
nouveau droit d’aînesse: aux masses délirantes ou aux trapézistes
modernes que sont les minorités ?
Aujourd’hui, quel est donc sur cette terre, mon potentiel à générer du
réel, à regarder au delà du miroir ce qui n’existe pas ? A ne pas
trébucher devant l’obstacle de l’ignorance, à me tenir en équilibre à
la limite de toute compréhension sur le mur des trapézistes ambulants,
à fédérer ces murs, à vagabonder loin de cet équilibre à la recherche
d’un ailleurs utopique, salvateur de totems et de brises légères.
D’aigles et de brumes ?
Où est ma part de déterminisme ? Dans l’auge des cochons, dans
l’assiette du pauvre ou dans la tendre et fragile rosée d’un matin
signifiant. Ou encore est-elle proche des horizons abstraits, lorsqu’on
se désaltère aux sources invisibles jaillissant du néant ? Quant on
tient ce néant au creux de la paume et les doigts écartés, laissant
filer ses rêves à travers le cosmos à la recherche d’une queue de
comète, ou d’une explication sincère (d’un nouveau serment).
Devant cet amoncellement possible de questions anonymes venant de nulle
part, nous rétorquons ici de manière synthétique, que la notion de
culture et de contre-culture reprend maintenant son ancienne valeur,
que la notion de pouvoir et de contre-pouvoir existe encore, à d’autres
niveaux, dans d’autres dimensions plus proches du réel.
Pourtant, il faut le dire, dans ce monde barbare, notre sujétion à la
réalité historique du moment nous plonge au plus profond de notre
impuissance à dépasser les tempêtes, elle nous plonge dans l’effroi de
l’impossible. Comme nous l’avons vu avec les ruraux et les indiens, la
société est faite aussi d’émancipations avortées, ratées, ou révolues
qui maintiennent les individus dans
d’atroces tourments. Le souffle
manipulateur des prismes nous conduit, après nous avoir éconduits. Dans
ce pays des gains, nos croyances sont vaines et notre culture est
désormais devenue un jeu d’échecs où les perdants semblent toujours
anticiper le mauvais coup.
Toutefois, pour survivre ici-bas dans un état décent, doit-on rester à
ce point, attachés à nos chimères commerciales ? Fait-on un choix
définitif nous enchaînant à l’espèce ou sommes-nous là pour créer des
états de conscience libérateurs de siècles d’oppression et d’épaisseurs
historiques lamentées dans les tourments de la foi ? Sommes-nous là
pour sangloter indéfiniment le long de murs énigmatiques la fuite des
vaincus, s’imprégnant de leur sang jusqu'à le faire sourdre au bas de
l’édifice ? Avons-nous réellement besoin de martyrs progressistes ou
d’offrandes humaines pour apaiser le courroux, de nouvelles divinités
irréelles ?
D’où nous vient cet idéal à jamais parcellisé qui nous pousse à
corrompre sitôt qu’elles jaillissent, les frêles tiges de l’orgueil ?
Pour soumettre aussitôt qu’elle parait, cette naissance à
l’organisation de chastetés parallèles qui finalement, ne mènent qu’aux
bordels. Bordels de la Foi, lieux de putréfaction des insignes divins.
Agglomérations de plaquettes, séchées sur le pourtour de trous béants
libérant cet inceste. Ce malentendu extraordinaire de la vie, vagissant
des excréments (et des balles) autour des anciens lieux de cultes,
menaçant de sa chair la fuite des éclairs, cherchant à se dissimuler à
l’ombre de l’orage, pour nous tyranniser au mieux au son de sa
trompette.
Qu’en est-il de la grande machine à dévorer le temps, de ses rouages
fous qui dissèquent l’espace, en nous laissant le soin de remonter les
ères, à la recherche de ce lieu causal, à la recherche de cette épave
(étape) primitive, primordiale ? Qu’en est-il de cette mécanique folle
comme obstinée à tout détruire autour d’elle, lorsqu’on oublie, le
temps d’un bref retard, la peur qui nous conduit irrémédiablement dans
l’antre béant de sa bouche difforme ? Qu'en est-il de cette machine
insensée qui s’acharne continuellement à nous lacérer dans ses dents de
velours, faisant par ailleurs, tout son possible pour apparaître douce
à nos m½urs assassines ? Qu’en est-il de ce déterminisme fou ?
Le vecteur d’une certaine foi progressiste a créé l’organisation
sociale. Face à cette terrifiante structuration de nos cerveaux, qui
sommes-nous
Kafka ? Rappelle-nous
ton
½uvre ! Sers-nous de guide dans
ce monde fini ! Apprends-nous à calculer les nouvelles distances, à
fuir la réalité tangible des étalons dorés. A nous satisfaire de
l’impossible au nom de rêves embrumés.
Mais entre-temps, pauvres de nous, qu’avons-nous fait réellement de toi
?
Au nom d’idéologies primesautières nous avons déclaré la "Politique".
Nous assourdissant de plus en plus souvent, dans le vacarme incessant
des vociférations parasites. Parasites des m½urs, parasites des c½urs,
couvant des ½ufs pourris à la chaleur des foules.
Tout au long des cohortes faméliques et pestiférées nous avons alors
déclaré le "Social", la "Polis"; cette vieille relique toujours
inachevée au sein de laquelle nous cherchons vainement le clandé, le
boyau sombre et tortueux qui ne nous mènera nulle part ailleurs, que
dans l’impasse des culs perdus.
Et sur cette route ensanglantée, se sont aussitôt penchées les fées
nourricières de la tragique famille des élus. Sonnant le glas des
tyrannies anciennes pour mieux nous encercler dans leurs bras de
guimauve. Intimidant la route des gazouillis, par d'exécrables
bouillies maintenant amidonnées de sucre : ambroisie pour des cerfs aux
couilles intarissables, miellées de nectars pour des sirènes aux seins
inaltérables. Secours du désir, annonciateur d’horribles états d’âmes
(et de dures réalités à venir !).
Puis parallèlement, on nous a rassasié d’espaces sertis, de décombres
sous vide, d’objets inanimés voués aux incinérateurs; tout en nous
laissant croire qu’ils étaient bon marché, indemnes de virus,
contraints et dévoués, alors que finalement ils puaient tous la haine
des
corridors d’abattages automatiques et la solitude
des impasses
marchandisées. Dans ces labyrinthes des insondables nécessités de la
chair. Dans ces supermarchés luxueux aux devantures rafraîchies et
peuplés de gogos.
Pourtant, qu’avons-nous appris à l’école ? Le moyen de survivre à
partir du passé ou la manière la plus fine de nous pervertir les
neurones ? L’inclassable (l’inaccessible) utilité des contenus
pédagogiques servant nos équilibres ou la somme des faits privatisant
l’espace. Le rendant inutile. Le vouant à l’échec. Sommes-nous devenus
simplement les fonctionnaires zélés des mass médias, rivalisant de
charme pour accéder à la place suprême, rivalisant d’audace pour monter
sur la plus haute marche, rivalisant d’énergie pour s’incendier de
watts, tout comme le feraient des nabots starifiés à la lueur de leurs
propres certitudes
acoustiques ?
Sommes-nous nés pour être ou pour
paraître ? Venons-nous au monde pour
ensorceler les médias ou pour parcourir et découvrir le lieu de notre
exode ; L’endroit d'où l’on voit tout ; Le cadre de nos rêves ; Le
sentier nonchalant des artificielles mutations à venir ; La draye des
migrations incessantes autour de feux de camps entretenant l’espoir, à
la faible lueur de vieux rétroviseurs, ces pauvres lanternes
automnales, qui nous permettaient de réfléchir sur les tenants et les
aboutissants d’une culture donnée. Qui nous permettaient d’essayer de
comprendre l’implication des idées neuves dans un contexte précis et
leur cheminement à l’intérieur des consciences, de réfléchir aussi à
leurs conséquences au niveau de la déstructuration des modèles en
place, d’estimer leur impact par rapport à l’extraordinaire inertie du
Système. Une inertie d’autant plus forte que son cadre a actuellement
atteint et dans chacun des domaines considérés, un certain niveau de
perfection (une perfection qui peut être vue comme un feedback négatif
ou positif, c’est selon le moment et la perception que l’on a de la
réalité).
Mais même si pour nous, la rationalité reste bien après tout, ce que
tout un chacun est capable de produire (principe de réalité), nous
gardons avant tout dans nos c½urs vagabonds, une théorie secrète autour
de l’acharnement primaire qu’ont les artistes à vouloir générer des
sentiments et encore une fois, ce ne sont pas les scientifiques, mais
bien les artistes qui pour des raisons étranges, décideront du monde de
demain, car ils sont bien les seuls, à partir de faits bruts (brutaux
?), à pouvoir rêver de nouvelles réalités. En effet, qui aurait pu
prédire par exemple, le développement du
Surréalisme après les
atrocités de la guerre de 14/18, atrocités dans lesquelles les
scientifiques portent définitivement, on le sait maintenant, une lourde
part historique de responsabilité ?
Et pour accompagner ce désir éthéré de connaissance et de compréhension
du monde passé et à venir, comme vous le voyez, l'Histoire est devenue
pour nous, tout à coup, un «
Système Surréaliste » qui s’est mis
soudainement à émettre des bulles émergentes. Nous sommes désormais à
l’intérieur d’un univers peuplé de bulles, des bulles pétillantes que
l'on appellera ici pour les besoins de notre cause, les bulles de la «
margi-différenciation ».
Toutefois, pour des raisons pratiques, nous resterons encore attachés
un petit peu au cadre conceptuel de la «
Théorie du Chaos et de
l’Incertitude ».
C’est ainsi que, tout comme des artistes assoiffés de néant, nous
posons sur cette palette graphique et ceci, d’une manière
incroyablement abstraite et rêveuse, le principe de la limite théorique
des Systèmes anthropiques. En élargissant le "
Principe de
Peter", notre
humoriste préféré, au fonctionnement des systèmes anthropiques, nous
dirons avec lui, qu’une fois que le Système «
lambda » aura tendu vers son niveau d’incompétence maximal, il ne
pourra plus, dès lors qu’il aura touché ce point, que péricliter. Ici,
au fur et à mesure de la lecture de ce livre et au risque de nous faire
prendre définitivement pour des fous, nous essaierons petit à petit de
vous faire changer d’horizons, de vous embarquer dans notre nouvel
espace-temps.
Mais ne croyez pas que vous allez pouvoir passer d’un
Système à un autre sans vous faire mal aux dents. Toutefois, près de
cette politesse qui depuis trop longtemps nous habite et une fois de
plus pour ne pas vous brusquer sans raison, disons-le, pour que le choc
ne soit pas trop brutal, nous chercherons ici à ne créer que de la
poésie, pour que finalement cette dernière s’instille dans le Système
en place, afin de le faire muter doucement.
Si on se prête un instant au jeu de cette mutation possible, on observe
sur cette représentation « multi-variée » de la vie (voir le graphe,
ci-dessus), un axe des abscisses qui correspond à l’utilisation de
l’espace dans le temps et un axe des ordonnées (désordonné ?), qui est
construit sur la base de l’accumulation des techniques, à un moment
donné de l’Histoire. A l’intérieur de ces deux axes théoriques, se
développent chronologiquement les Systèmes Successifs et Supérieurs de
Survie Spatiale (SSSSS), Systèmes qu’ont mis au point les hommes au
cours des millénaires : SI : « Cueilleur » (de prunelles, de genièvre,
etc.), SII : « Chasseur » (de mammouth, d’aurochs, de sangliers, etc.),
SIII : « Agraire » (domestication des deux précédentes étapes :
végétaux et animaux), SIV : « Industriel » (utilisation des ressources
minérales à des fins industrielles et industrialisation de l’étape
agricole précédente SIII), SV « Ecologique » : (gestion dynamique des
milieux « naturels » à l’aide des « outils » (des process)
biotechnologiques), etc., (SVI est en pré gestation métaphysique…, par
abus de langage ou par dérision envers les systèmes antérieurs nous le
nommerons ici, « Système de la Foi suivante »).
Pour nous, le Système « Lambda » mute automatiquement quand les
conditions de son expansion ne sont plus réunies. Ceci revient à dire
que quand l’Homme a épuisé les ressources qui alimentent la nature de
son système de survie historique, il en délaisse l’objet pour bâtir
l’étape suivante et arriver ainsi (non sans désordres ou sans chaque
fois quelques barbaries de plus à son actif) à une maîtrise supérieure
d’un territoire qui émerge peu à peu du chaos (axe de l’espace-temps).
Pour ce faire, il complexifie au fur et à mesure ses techniques (axe de
la complexification technologique).
Ici, la ligne d’indéterminisme n’est plus alors autre chose que la
limite historique (momentanée) des relations dialectiques et c’est au
centre que la bataille fait rage. Dans ce sens, chaque fois que
quelqu’un ou qu’un groupe d’individu se détermine sur une manière de
gérer son espace (ou son quotidien) il crée de la matière ou de la
réalité (ce qui pour nous, revient pratiquement au même).
Et pour faire
encore un peu plus plaisir à nos neurones soudainement émoustillées,
nous pouvons, grâce à l’outil systémique, transposer localement le
modèle global décrit ci-dessus, sur l’instant actuel, en appliquant à
un Sous-Système donné la notion de
barycentre. Vu de plus près, la
surface historique de contact entre le « Chaos » et le « Réel inachevé
» prend alors subitement un aspect physique bosselé.
Pour imager cette
approche on dira ici que, pas plus il ne fallait statistiquement «
embêter » Neandertal en allant lui piquer sa côtelette lorsque ce
dernier revenait de la chasse, on ne peut aujourd’hui, aller embêter
bush et le camp occidental en les privant tous deux, de leur satané
pétrole.
Comme vous le voyez, chez nous désormais, c’est bien le rêve qui permet
de planter le décor, l’espace des regrets, le temps des infortunes.
Nous ne nous prenons plus véritablement au sérieux.
Néanmoins, pour
bien expliquer le radicalisme de notre point de vue, pour poser
définitivement le cadre de ce livre, pour nous engager sans possibilité
de retour dans la voie des utopies, nous allons nous permettre de dire
qu’un Système « lambda », un système dont les finalités ne seraient
plus uniquement basé que sur la prédation des ressources disponibles,
deviendra caduc, dès l’instant ou il ne saura plus gérer durablement
ces dernières ou qu’il n’en appréciera plus la valeur intrinsèque. Dès
lors, ce système aura de plus en plus tendance à se faire critiquer (et
ceci n’est qu’un doux euphémisme à l’échelle de tous les rapports de
forces en cours).
Avant d’aller plus loin dans le sens de ce rêve et
pour nous faire encore plus plaisir, faisons donc avant tout, un
inventaire momentané de toutes les
ressources disponibles ! A partir de
là, observons nous ici ou là, les germes d’une chute possible ou d’une
décadence ? Est-on à l’apogée du Système « lambda » ou vivons-nous
notre propre radicalisation à la marge d’un état qui ne nous laisserait
plus désormais que des possibilités minimes de d’expression ?
Quelles sont réellement les idées fortes qui guident actuellement les
sociétés ? Quelles sont celles qui ont le plus de chance d’aboutir ?
Quelle est la place des croyances et de la culture propre à un ou à
plusieurs individus, dans leur prise de conscience collective du réel ?
Et quel est surtout leur pouvoir de décision par rapport à tout ce qui
les entoure ? En un mot s’il est possible de l’évaluer, quelle est dans
la structuration du Système actuel,
la part du déterminisme pur d’un
individu. Sa part de
créativité ?
Dans cette extraordinaire course-poursuite contre le temps, nous a-t-on
vraiment laissé un espace de mutation réellement crédible ? (...)
Nonobstant et peut-être par chance pour notre futur rôle, il convient
de préciser, qu'une forme d’évolution qui peut paraître à tous
historiquement irréversible et inéluctable n’en demeure pas moins, sous
certains angles et à l’échelle humaine (historique), une réalité
conjoncturelle ou ponctuelle modifiable. Ce qui peut paraître à tous
intangible ou immuable n’en demeure pas moins une réalité modelable en
fonction des nouvelles aspirations. De cette manière, la structuration
des mécanismes sociaux ainsi que la planification des besoins
conventionnels par exemple, ne sont à un certain degré, que des vues de
l’esprit, des sortes de visions farfelues, des visions certes parfois
attirantes, certes peut-être "nécessaires", mais non uniques et
certainement pas cosmiques.
Malgré toute "la bonne volonté" et toute "la bonne foi" ou encore
malgré toute «la bonne conscience» qui portent les idéaux d’une époque,
il peut se faire qu’à un moment donné de l’histoire, des réalités
différentes essaient de voir le jour (des réalités dont les racines
sont souvent à rechercher ailleurs, dans d’autres horizons que ceux de
la culture donnée ou de la direction qu’on aurait voulu préalablement
lui donner). Ces nouveaux oripeaux géants peuvent alors devenir
importuns ou carrément insupportables pour certaines personnes ayant
été trop conditionnées à penser en rond à
l’intérieur de leur propre
système de survie. Dans ce sens, il est donc normal qu’il y ait
localement des situations explosives qui s’expriment. Par ailleurs, le
fait même de percevoir ces situations à risques ou de les accepter
implicitement, ne vaccine pas les individus qui auraient pris
conscience de leur gravité, car rien daans l structuration de leur
propre pensée ne les a spécialement préparés à un tel choc. Ils peuvent
à partir de là, se heurter à un phénomène inconnu et non canalisable.
C’est donc bien avant tout, pour toutes ces raisons et en premier lieu,
comme on l’a vu plus haut, pour éviter de naviguer à vue entre les
écueils d’une mer sociale démontée, qu’à l’ombre des nombreux exemples
historiques de survie, qu’à l’ombre de ce charbon chatoyant et de cet
acier inaltérable, qu’à l'ombre de ce pétrole gluant et de cette
extraordinaire mutation de l’agriculture, qu’à l'ombre de cette survie
organisée au nom de gorges insatiables, nous avons fait un rêve. Un
rêve de rupture.
Rupture conditionnée ou expression d’un excès inverse ? Inversion des
valeurs ou simple vision adaptative devant un amoncellement prévisible
d’immondices ? Prémonition active devant l’ennui de la consommation ou
combats de titans générés par les fauves ?
Dans le fond, nous les indiens marginaux des monts perdus de l’aube,
nous qui sommes devenus tout à coup de si gênants témoins pour le
système en place, sommes-nous vraiment coupables d’avoir voulu un jour
arrêter la fuite hyperbolique de tous ces prédateurs assoiffés
d’espaces, de tous ces promoteurs assoiffés de littoral, de tous ces
industriels assoiffés de marchés ou au contraire, avons-nous eu
vraiment raison de nous instituer en véritables facteurs de changement
?
- A la lumière de cette troisième
génération de chômeurs qui s’annonce
au sein de la « Banane bleue », lorsque le démantèlement des industries
lourdes conduit à cette impasse, nous relevons le nez...
- A l’heure
des éjections rancunières, génératrices d’abcès sociaux tumultueux,
nous relevons le front.
- A l’heure où les compresseurs automatiques se concertent sur les
opportunités de débauches, nous relevons la tête.
- A l’heure où des régiments ensanglantés de deuils assassinent la
masse, nous nous mettons debout.
De quelle manière s’opère donc chez vous, la mutation dans les milieux
prolétaires et commerçants ou mêmes politiques ? Car la destruction des
modèles créés depuis le début de l’ère industrielle y est là,
effective. Ici, dans ce qui est devenu désormais un « chez nous »
éphémère, il y a longtemps que tout cela est maintenant fini. Depuis
nous subissons l’exode, le transfert et la clarinette des archanges de
la route. Mais pour nous, cette route est devenue soudainement malade
d'un transit incessant et depuis, assis le long des quatre voies, nous
attendons qu'elle ferme.
Car dans
l’antre de nos angoisses métaphysiques, nous considérons avant
tout que le problème n’est pas de maintenir certaines couches de
population dans l’ignorance ou dans l’illusion de leur rôle social,
mais de valoriser plutôt cette fonction afin que tout un chacun ait
l’impression de participer à un idéal commun. Nous étions là, décalés
de l'Histoire, pour
témoigner aussi que l’homme industrieux qui
avançait parmi les autres avait lui-même subi un intense lavage de
cerveau, un lavage de cerveau qui avait duré presque toute sa vie de
travailleur et qu’au
terme de cet itinéraire démentiel, il s’acheminait d’un pas mal assuré,
vers une retraite qu’il pensait avoir bien méritée. Une retraite
espérée et crainte à la fois, une retraite le plus souvent dorée que
seule la vacuité de son cerveau partiellement détruit lui rendait
attirante.
Au bout du compte, n’avait-il pas réellement vécu parmi les autres que
pour se défaire petit à petit de toutes les contraintes culturelles du
passé ? S’en était-il défait par conviction propre, ou l’avait-on
conduit dans cette impasse d’une manière pernicieuse et progressive ?
Ou encore, pensait-il simplement de manière enfantine, que la réalité
historique de ces mêmes
retraites lui donnerait finalement raison ?!