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La poesía es un arma cargada de futuro (Gabriel Celaya)


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  Que faisiez-vous pendant ce temps ?

Chapitre I
CHAPITRE I





Nos démocraties peuvent encore se payer le luxe d’une guerre d’idées (BHV)
  
L’histoire dont je vais vous parler tout au long de ce livre est celle de tous les « Jean sans terre » de ce monde, ces misérables compagnons d’infortune égarés près des terriens modernes. Je la relate ici pour eux et à partir de notre propre expérience de pauvres marginaux idéalistes. Les évènements dont il va être question, ont eu lieu il y a longtemps déjà, dans les contrées sauvages et reculées de notre vieille Europe. Ils se sont déroulés aux confins des basses Cévennes et de la Montagne Noire, entre solstices et équinoxes.

Cette forme d’expérience prérévolutionnaire ou plutôt post-industrielle - c’est comme on le voudra - a vraiment commencé lorsqu’au hasard de quelques escapades spontanées, nous nous aperçûmes du fait suivant : l’espace rural en voie de désertification était en train de devenir, pour quelques citadins déçus par la tournure des évènements post soixante-huitard, un lieu d'évasion secret offrant à qui le désirait, un potentiel de projections socioculturelles illimité. A priori, on pourrait donc se demander, pourquoi ce conte farfelu se doit de débuter là, au milieu de ces bois car en fait, sa lente gestation se fit ailleurs. Mais dans le fond, ce qui va compter ici, c'est de montrer rapidement en quelques lignes que l’on peut fugitivement bâtir sur cette terre, un « quelque part » irrationnel, une sorte d’asile, un lieu de résistance active au vagabondage incessant qui nous habite tous ; un lieu uniquement conçu dès lors, pour abriter un tas de rêves devenus soudainement orphelins de tous sens. Ce qui va vraiment être important, tout au long de ces pages, c’est de faire croire à chacun, qu’aux confins du social, en marge des cités, contre l’avis de tous, on peut encore se construire un abri naturel, une sorte niche dans laquelle on se sera enfin réellement donné le droit de vivre et d’expérimenter entre nous, de nouvelles conditions d’existence.

Des conditions qui forgeront dorénavant notre future intimité et cela, même dans ce qu’il pourrait encore lui rester après ce choc culturel, d’opacité ténébreuse ou de morbidité.

Une existence dont on aura ici, dans ces lieux désolés, radicalement revisité les objets.

Une vie irrémédiablement désorganisée et pleine d’aléas, le plus souvent inavouables, par manque d’intuition ou manque de courage.

Une vie qui au loin des citadelles urbaines, rendra désormais triviale et prosaïque, cette banale forme d’esthétisme dont nous cherchons tous en général à nous parer, pour embellir auprès des uns et des autres, les faits et gestes de notre quotidien.

En ce temps-là, au début de cette étrange aventure humaine, nous étions encore des sortes d’anges vagabonds. Dignes fils de Kerouac, nous hantions sans répit les chemins de traverse et l'eau que nous buvions venait des sources les plus pures, des sources transparentes glanées çà et là au fil des jours, loin des sentiers battus. De résurgences en résurgences, comme attirés déjà par de vagues regrets originaux, nous allions cheminant en observant le monde. Nos yeux clairs et irisés de vert donnaient à nos visages une lumière étrange, une lumière toute encore auréolée d’une tendresse et d’une fierté adolescente qui faisait comme peur aux ténèbres. Le long de ces sentiers perdus, nous allions en haillons et les vêtements que nous portions, nous faisaient habituellement passer pour des êtres sauvages, des sortes de faunes débauchés participant à toutes formes d’orgies possibles.

Il n’en était pourtant rien et comme vous allez le découvrir peu à peu, la lumière qui nous habitait n’était pas si gratuite...

Nous vivions ici-bas, au c½ur de cet arrière-pays languedocien, esseulés dans des taudis divins et d’une manière plus précaire peut être que dans certaines favelas. Nos démarches, nos actions, nos gestes, nos prises de position toujours catégoriques ainsi que notre «zone» locale, repoussaient quiconque s’approchant de chez nous. Nous cultivions d’ailleurs un peu cette image de repoussoir afin de pouvoir rester définitivement isolés dans ces lieux exotiques où nous avions choisis dorénavant de vivre. Isolés d’un monde dont nous ne voulions plus. Isolés aussi de toute forme de progrès, comme initiés à la clairvoyance, avec pour seuls témoins occultes, deux petits soleils noirs qui brillaient constamment au dessus de notre planète ocre et qui accompagnaient de jour comme de nuit, l’interminable chevauchement des pensées qui peuplaient continuellement notre espace mental, des pensées devenues en ces lieux soudainement libres, errantes, d’une errance semblable à l’errance du vent sur les plaines désertes ou pareille à celle de l’eau des ruisseaux vagabonds dans les vallées étroites. Une errance infinie.

En ces temps éloignés, nous vivions le jour sur une terre désertée par la vie. A perte de vue, aux confins de notre propre perception, s’étalait un immense désert d’hébétudes subies et d’habitudes conditionnées. Nous avions beau dès lors essayer de créer des contacts, la vie était devenue pour nous, quelque chose de vraiment rural, de retiré. Nous errions çà et là, avec pour seule compagnie, les forces naturelles qui usaient et érodaient perpétuellement la terre, la forgeant dans notre espace-temps, en paysages éternels et figés, en beautés arides mais inoubliables. Tout autour, une lumière claire inondait le maquis. Cette lumière d’une pureté incroyable, d’un luxe inimaginable en ces temps d’infortune, faisait en même temps de tous les paysages que nous fréquentions, des lieux uniques, éternels, des lieux enfin voués à la contemplation.

La nuit, plongés dans le silence épais des anxiétés muettes, ces univers, parfois baignés d’espaces laiteux, se transformaient, en îlots entourées d’immenses lacs sombres aux eaux profondes. Faisant fi définitivement des appels aux engagements nocturnes des carnassiers, nous ne considérions en fait que l’absolu de notre position. Les courbes douces des collines baignées de lune s’enfonçaient dans la profondeur des eaux noires des ténèbres béantes. Tout y était d’un calme incroyable et nous participions complètement à l’osmose de la nature, créant cette osmose, la révélant aussi. Ecrasant ce décor, la voûte céleste scintillante nous irradiait et nous impressionnait de telle manière que nous n’avions dès lors d’autres aspirations que de nous transformer en étoiles filantes, des étoiles agitées, s’évertuant à rejoindre au plus vite cette improbable immensité cosmique.

Enfants naïfs, enfants crédules encore dans les limbes erratiques des temps anciens, dans des chaos d’inachevés ; Adolescents attardés, crevant des bulles de rêveries hermaphrodites le long de sentiers incertains (mais escarpés), nous participions parallèlement, pour nous distraire un peu de ces lieux trop ensorceleurs, à tous les courants de pensées qui parcouraient alors le monde, oubliant par là même que nous aurions dû vivre ici, des limites précises afin d’ensemencer la terre de nouveaux rêves, de nouveaux rires, cristallins...

De toutes les idées qui traînaient çà et là aux quatre coins du monde, de toutes les formes d’existences précaires qui nous entouraient de toutes parts, nous tirions simplement une hypothétique subsistance culturelle. Nous étions même disposés à défendre n’importe quel type d’utopie passagère qu’on nous aurait présenté, ceci uniquement pour éviter inlassablement de nous laisser entraîner de manière trop précoce vers les régions funestes et morbides des scléroses sociales. Essayant ainsi de créer à partir de là, nos propres espaces d’errance, d’évasion, d’inattendu, d’inassouvi. Nos propres univers improbables, notre propre accessibilité au futur ainsi que notre propre ambiguïté. Oui, en ces temps éloignés, contre vents et marées, nous avons vogué loin des écueils sur des surfaces planes et à travers d’immenses désordres. Observant ça et là, les dégâts que produisait la vie.

Rêveurs impénitents, nous avons en même temps sacrifié sur tous les autels chimériques des idéologies en cours, nos maigres ressources matérielles et notre énergie intarissable, donnant l’asile dans ces lieux d’infortune à tous les corps épuisés par le naufrage et rejetés ici, loin des rêves glorieux, par les eaux des océans indifférents de la masse sociale. Des océans déchaînés qui nous avaient nous-mêmes auparavant brisés et repoussés au large sur ces îlots déserts, des îlots de verdure que nous faisions avantageusement partager à tous ces naufragés qu’un destin historique avait voués en loques.

Néanmoins ces mêmes naufragés, bien que brisés par la fureur des éléments sociaux, arrivaient encore ici avec bagages et rêves de pouvoir. Ils n’avaient rien compris de la dérive qu’ils vivaient par ailleurs et leurs délires antédiluviens restaient à la mesure de leurs ambitions rejetées. Mais dans le fond, ces quelques misérables sinistrés ne s’étaient-ils pas ce faisant, substitués un peu à vous les citadins modernes, substitués à vous mes anciens compagnons de passage, afin de parler à votre place des choses de la vie ? Ces quelques naufragés, ne portaient-ils pas encore en eux par exemple, après cette débâcle, cette part de passé dont vous aviez vous-même peu à peu oblitérée les objets, dans le train-train des soucis quotidiens ? Cette part d’absolu que vous aviez un jour banalement niée pour gagner votre pain ?

Car c’est bien en partie, pour combler le vide sidéral qui commençait inconsciemment à envahir nos êtres que nous étions partis loin des cadres formels que formaient alors pour nous, les ternes horizons urbanisés. Partis, pour essayer, jour après jour, de faire revivre ailleurs que dans les villes, la part de cet oubli qui lentement s’échappait de nos corps. Et en même temps, au c½ur de ces endroits redevenus secrets, vous faire partager un peu à travers cette forme d’exode primitif, notre propre regard.

Mais vous mes amis citadins, vous qui êtes restés encore le plus souvent prisonniers de vos peurs quotidiennes, vous étiez tout de même quelques uns à arriver ici, dans ce désert humain, avec dans vos bagages des sources de poésie intemporelle. Ces lieux magiques que nous entretenions à toutes fins ludiques, étaient en train de devenir pour certains d’entre vous, de sacrés révélateurs d’utopies. C’est ainsi que libérés pour un temps des attaches sociales qui ailleurs vous enfermaient dans d’horribles constats (dans d’horribles tourments), vous vous mettiez soudain avec nous à jouer de la flûte, à gratter la guitare ou à taper sur des tablas. Vous vous mettiez à peindre à nos cotés ou à dire des vers, organisant sans cesse des fêtes imprévues que nous achevions au petit jour dans des tabagies incroyables confites de haschisch.

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Ces énormes tabagies, largement accompagnées de vin rouge ou de muscat (bio), commençaient le plus souvent, par une réunion autour d’un instrument de musique. Ainsi accompagnés par ces harmonies discrètes, nous accédions dès lors, à une sorte de rituel où l’officiant était celui qui faisait le joint et la communion, le passage du joint.

Vous en rappelez-vous mes amis de toujours ? Nous ne parlions alors que de galères et plus la galère était terrible, plus elle prenait à nos yeux la valeur d’une condition unique dans la fantasmagorie des luttes existentielles ou sociales. Vous rappelez-vous aussi, que la forme de communication la plus élaborée, mise à part la communion du joint (ou à cause ?), que nous développions, était continuellement empreinte d’un humour acide et d’une vive émulation à trouver le jeu de mot le mieux adapté à une situation donnée. Vous rappelez-vous, que dans ce domaine nous fûmes des génies et que la finesse de nos joutes n’avait d’égale que les sempiternelles spéculations que nous émettions sur la provenance de tel ou tel morceau de kif, sur sa pureté supposée ainsi que ses propres qualités à nous "stonner" le plus possible.

Il est vrai qu'en ces temps incertains, il suffisait d’allumer le pétard pour être déjà loin, en train de planer à cent mille lieues de la réalité sociale. Dès lors, notre fête prenait une autre dimension et nous ne correspondions plus que par des vibrations. Sur un accord de guitare transcendant notre léthargie habituelle, nous nous mettions, t’en souviens-tu mon pote, à réaliser toute une panoplie de choses anarchiques, mais cette activité seconde s’accomplissait avec une telle ferveur que ce qui en ressortait était toujours magique. Celui-ci faisait un gâteau (au shit), celle-là faisait cuire des côtelettes (aux herbes), un autre allait s’occuper à cultiver un bout de jardin (pour les plants), enfin d’autres encore se plongeaient dans la contemplation infinie d’une fleur ou d’un morceau de terre. Les événements ne nous parvenaient pas.

Il faut dire qu’en ces temps reculés, relégués au plus profond de la mémoire, un sourire suffisait pour tout comprendre et un geste malheureux était puni de manière définitive. Un seul regard servait aussi à souder une entente immortelle. Combien d’accords sont nés de ces rencontres, combien de désaccords se sont-ils révélés !

Te rappelles-tu encore mon ami le fêtard, que dans notre économie béate, le préposé au joint ou celui qui avait trouvé la marchandise pour sa préparation, était considéré comme le V.I.P. de la soirée mais qu’en général les sources d’approvisionnement étaient si diverses que chacun arrivait le plus souvent, avec son propre article pour en vanter la qualité unique. On commençait par sentir le produit, par en juger la couleur ainsi que la consistance et la texture ceci, afin d’en déduire la pureté et parfois même la provenance. C’était là notre première et seule source de controverse, la deuxième ne pouvant plus avoir cours car nous étions déjà largués : les cloisons du cerveau qui donnent à l’homme une vision si étroite de la réalité dans laquelle il est le plus souvent plongé (égaré ?), sautaient progressivement une à une et c’était alors une gerbe, un feu d’artifice, que nous libérions à chaque bouffée de pétards. De plus, tu t’en souviens aussi, nous ne craignions jamais, de consommer les produits sous différentes formes mais rappelle-toi bien, ce qui nous comblait et nous valorisait le plus c’était de profiter de notre propre production, celle que nous faisions pousser dans le jardin ou ailleurs, pour ceux qui avaient le plus peur.

A ces fins, les idées les plus saugrenues venaient aussitôt à l’esprit de chacun sur l’endroit où il devait planter ses pieds, sur l’heure à laquelle il fallait les arroser, sur la manière de les tailler afin d’obtenir le rendement le plus haut et sur le type de soins qu’il fallait apporter aux plants afin d’obtenir la meilleure récolte. Preuves à l’appui, il y en avait qui dépassaient les six pieds de hauteur !

Ces ouvertures dans de nouveaux espaces de liberté, ces palliatifs au fascisme de masse ambiant, duraient d’un jour à une semaine entière, journée à laquelle succédait généralement une autre nuit de fête, suivie d’une autre semaine de divertissements - Je me rappelle ainsi d’une journée d’agapes continue qui avait commencé le 20 juin, le jour du solstice et fini le 20 septembre, le jour de l'équinoxe – Te rappelles-tu réellement de cette vie ? Ça n’arrêtait jamais. De plus, le roulement des personnes apportant la marchandise et les idées était tel que ces réjouissances champêtres semblaient ininterrompues. Il suffisait pour cela qu’il existe un lieu de rencontre, que ce lieu soit le plus isolé possible des soi-disant civilisés et qu’il soit surtout à l’abri des regards indiscrets. A l’abri aussi du regard des espions (les RG) que nous soupçonnions, parfois de manière quelque peu paranoïaque d’ailleurs (mais qui sait ?) de nous épier et de nous dénoncer à ceux qui faisaient alors l’objet de notre vindicte récurrente: les flics. Car pour plus de précision sur les faits relatés, il faut dire ici que nous venions de quitter le pays des matraques !

Ces pauvres types, Don Quichotte de la loi, tout comme nous étions nous-mêmes les Don Quichotte de nos propres idéaux se déplaçaient en bandes armées et c’est en cela qu'ils déchaînaient nos plus bas instincts. Ainsi vivions-nous dans la hantise permanente de leur arrivée soudaine. Il faut reconnaître ici braves gens, que ce faisant, nous les avons longtemps mobilisés. A votre service et à nos dépens, car pendant que nous les avions sur le dos, ils ne pouvaient pas nuire ailleurs. Vu sous cet angle, l’individu qui un jour de chance avait découvert un lieu de vie tout au bout d’un chemin de traverse ou mieux encore, au fin fond d’un cul de sac, cet individu se muait de fait en un personnage des plus fréquentables et son «territoire» se transformait dès lors, en un territoire sacré dont il fallait, contre vents et marées, défendre les accès.

Cette solidarité sur le dos des représentants de l’ordre était, en quelque sorte, la preuve de notre appartenance à un groupe social distinct et les balances et/ou pervers de tous genres se voyaient rejetés définitivement vers le rivage des oppresseurs. Dans notre esprit n’avait pas encore germé l’idée simpliste que pour rester fidèle à ses idéaux, il fallait s’en donner les moyens. Nos actes étaient gratuits : plus la maréchaussée était assidue à tromper son ennui, et plus nous nous efforcions de vaincre les tabous et les « a priori » de cette société de consommation que nous détestions par dessus tout. Nous étions de fait, en train de devenir une sorte de laboratoire secret des aspirations nouvelles des êtres contre le néant, en même temps que nous nous étions mis, chacun de notre coté, à définir de nouveaux types de rapports humains.

Oui, je répète ici qu’à une certaine époque de la vie, c’est en partie le kif et quelques autres molécules bizarres qui nous ont permis d’émettre la plupart de nos idées et qui nous ont surtout donné, la force de continuer à rêver dans ce monde si terne. T’en rappelles-tu donc encore un petit peu mon ami, toi qui entre-temps es redevenu un citadin (citoyen?) modèle ?
Ecrire, rectifier, donner son avis