Les
utopies marginales, du fait qu'elles étaient parallèles et qu'elles
représentaient trop de courants de pensées, en même temps qu'un trop
grand nombre d'horizons culturels, ne purent être ni
assimilées, ni
canalisées par le fait historique social ou par les structures ad hoc
(haddock ?) existantes.
Elles
s’exprimèrent dès lors par défaut, dans
un espace rural déserté, un ancien espace idéel où les premiers
éléments d’une mini société buissonnière commençaient à s’organiser
dans la plus grande des confusions. Arrivaient là, dans ce lieu des
éclatements, ceux qui après mille détours vagabonds avaient en
désespoir de cause, emprunté la «trans'utopienne» qui les y conduisait.
On veut parler ici, de ces milliers de transfuges qu’étaient devenus
les éco-marginaux.
En effet, l’éco marginal (marginalocalibus) représentait bien pour la société de
consommation, un transfuge idéal en même temps qu’il lui renvoyait de
manière indécente, l’image de son possible échec, de son probable
déclin aussi:
- Transfuge des horizons bornés
communément admis par le clan familial,
vers des horizons sociaux élargis et notamment vers ceux qui leurs
étaient proposés au sein des nouvelles communautés rurales.
- Transfuge de son travail ou de sa
formation professionnelle, vers les
domaines de l'artisanat d'art ou vers une activité plus concrète de
paysan ou de jardinier de l’espace. Une démarche encore perçue comme un
archaïsme par le prolétariat, un prolétariat qui le plus souvent, était
lui même le transfuge parfait d’un système rural anciennement et
entièrement structuré autour de l’activité agricole.
- Transfuge de son milieu de camaraderie et d'amitiés conventionnelles,
vers une recherche plus spontanée et plus sincère des rapports humains.
- Enfin, ce qui est bien plus grave, transfuge de ses propres notions
culturelles et mettant donc potentiellement en danger l'ordre
pré-établi.
De la même manière que furent marginalisés dans les pays de l'Est, tous
les acteurs contestataires d'une idéologie programmée par des cerveaux
malades – ceci, lors d'une étape historique de structuration sociale et industrielle
insoutenable vis à vis du monde ancien - en « Occident » (sans
développer ici une
polémique ou un jugement sur les tenants et les
aboutissants réels de cette position historique), les marginaux furent
contraints par la force politique, militaire et judiciaire, d'accepter
le développement de la société de consommation. Une société avide dont
ils contestaient simplement les dérives de plus en plus visibles.
Dès
lors, comme on l’a vu au chapitre VIII, tout le monde eut le droit de
jeter l'
anathème sur ces déviationnistes du consumérisme de masse et
sur ces mécontents de l'ardeur d’aller au travail, dans la joie de
payer les mensualités d'un crédit si facilement accordé.
Pas plus qu'au sujet des pays de l'Est, nous ne porterons ici, de jugement
de valeur sur cette période de pseudo plein emploi (dans les années 70,
la plupart des femmes n'étaient pas encore inscrites à l'ANPE), de «
volant » organisé de chômeurs, de paupérisation intellectuelle et
médiatique et de fuite en avant vers des lendemains qui déchantent.
De
plus, si sur le plan idéologique, les relations sociales deviennent
très vite Kafkaïennes à analyser, dans la pratique de la vie courante
par contre, il ne faut pas chercher bien loin le pourquoi du comment.
En effet, les motivations qui poussent les hommes sont parfois beaucoup
plus pragmatiques et beaucoup plus prosaïques que ne le laisserait
penser de prime abord, la complexité des situations ou des discours.
Malgré cette facilité d'approche (la complexité des rapports sociaux
est un
mythe entretenu par le pouvoir), il est quelques points
particulièrement importants et particulièrement intéressants sur
lesquels se penche l'analyste marginal. Ce sont ceux qui concernent les
choix qui furent faits lors de la mise en place des grandes lignes de
développement (les fameux
plans quinquennaux).
Comment la seule matière
grise de quelques technocrates a t’elle pu imposer à un si grand nombre
d'individus un changement historique aussi rapide et aussi radical dans
tous les compartiments
de leur existence ? Comment eut-elle la puissance de décider à tous les
niveaux du développement structurel de régions, grandes parfois comme
le dixième de la France ? Comment si peu de cerveaux purent-ils
organiser une si
monstrueuse mutation et ceci aussi rapidement ?
En
effet, afin d’avoir la chance de devenir un tant soit peu intelligent,
l'homme ne doit-il pas
assimiler au fur et à mesure les quelques
connaissances qu’il
acquiert si difficilement tout au long de sa vie ! Il faudra à partir d'aujourd'hui,
plusieurs siècles aux futurs annalistes, pour analyser réellement les délires qui se seront passés au cours
du XXème siècle.
(si c'est possible)
- De quelle manière par exemple, un
seul bureau d'étude peut-il avoir
eu la prétention et la folie de décider de l'aménagement de toute une
région comme ce fut le cas pour la
vallée de la Seine et de la Marne,
ceci de Marne-la-coquette jusqu'au port duHavre ? Autre exemple,
comment les habitants des zones concernées, ont-ils pu accepter le
bétonnage démentiel de la côte méditerranéenne, sans ne rien dire ?
- Comment une agriculture, sous beaucoup de formes alors largement
autosuffisante et même excédentaire, a t’elle pu muter de manière aussi
radicale, jusqu'à l'
industrialisation de ses propres méthodes de
production, jusqu'à faire naître des animaux cubiques, afin de mieux
les empiler au carré, sur des palettes serties de plastique transparent
?
- Comment le réseau routier a t’il pu se
densifier à ce point, jusqu'à
entretenir une ronde infernale et ininterrompue de camions dévidant
inlassablement leurs cohortes intrépides, jusqu'à faire pâlir la ronde
des étoiles ?
Comment si peu d'hommes, ont-ils pu décider en toute tranquillité
d’esprit de cette évolution démente ? Quels idéaux malsains les
poussèrent-ils à obliger un si grand nombre d'individus aux travaux
forcés et ceci, avec la bénédiction de la plupart des syndicats ?
Quelle force les pousse-t-ils encore pour que jamais ils ne se
demandent le matin en se levant: "
Ai-je toujours raison ou ai-je eu
tort un jour ?".
Dites-nous maintenant, puisque vous avez été aussi «
Fords », comment peut-on redescendre de là, puisqu'il n'y a pas de
retour en arrière possible ?
Mai 68, quoi qu'en pensent les nouveaux
idiots du village intellectuel et
scientifique,
des idiots que, par prudence et par peur des représailles, je ne
nommerai pas ici, représente vraiment le début de l'éclatement final de
ce Système. Un système qui ne pouvait aller dès lors que vers une forme
de romanisation
marxiste de plus en plus poussée de ses structures internes,
c'est-à-dire, aller vers une sorte de «Marx
Aurélisation» larvée des
rouages de l’état. (Exemple pris au hasard:
Livre VIII; Pensée XXXIV.
Je vous rassure, je n’ai pas été plus loin car dès la première pensée,
j’étais déjà mort de rire !).
En même temps que cet éclatement fatalement irréversible, Mai 68, vu
sous l'angle de l'historicité des fractures sociales, représente
justement
l'acte de naissance formel (même si on peut discuter d’une
origine plus lointaine) de tous les mouvements considérés comme des
mouvements « marginaux ». Dit de manière plus rationnelle, Mai 68 a
représenté en premier lieu en France, le rejet total de la politique
Gaullienne, une politique elle même miroir des aspirations de son heure
(de son leurre). Mai 68 a représenté en même temps, l'aboutissement
historique de tous les mouvements perçus auparavant par le pouvoir en
place, comme "
antisociaux"(?) et ce, depuis le début de l'ère
industrielle. (A partir d’ici, l’histoire racontée dans ce livre a
véritablement un sens).
Vous me direz : « Ce n'est pas peu ? ». Je vous
répondrai : « Quoi de plus vrai ! ».
En effet, si au dix-neuvième siècle ou pour la première moitié du
vingtième siècle la question sur le «sens du progrès» ne fut jamais
posée que par des visionnaires, la soi-disant crise sociale des années
70 représente bien, à un niveau global, l'
éclatement le plus grave et
le plus important au sein d'une société structurée et ceci, depuis peut être la
Révolution Française.
Avant cette date et mis à part quelques personnes
éclairées comme les
utopistes par exemple, personne n'aurait voulu, ni pu
d’ailleurs, contester la
valeur incontournable de
l'industrialisation. Après 68 cependant, la question de la vitesse
excessive de cette évolution fut posée : comment pouvait-on continuer à
faire croire aux gens que l'Homme avait plus évolué en cent cinquante
ans que depuis le début de toute son histoire ? Cela aurait du rendre
fou furieux le plus solide et le plus rationnel des cerveaux ! (N’en
déplaise aux créationnistes, il faut bien respecter une certaine
chronologie dans l’histoire de l’homme car les preuves sont formelles,
elles s’empilent les unes au-dessus des autres !).
Pour
contrarier la mise en ½uvre de cette nouvelle tautologie basée sur
une idéalisation sans borne du système productiviste, que proposèrent
de manière diffuse tous les mouvements considérés comme étant marginaux
?
Ils proposèrent, tout d'abord d'arrêter ce
carnage insensé, basé sur
une consommation absurde et sur une transformation abusive de toutes
les matières premières (prédation totale des ressources disponibles).
Ils proposèrent aussi, de retrouver quelques racines et d'arrêter une
fuite en avant vers le « progrès » devenue complètement folle.
Pour
cette raison même, ils furent les incompris du Système dominant.
- Incompris tout d’abord des tenants
cyniques des travaux
forcés qui
voyaient là s’échapper une force de travail jusqu’ici facile à
domestiquer.
- Incompris aussi des individus composant les couches des
laissés pour compte (les ex-lumpens du marxisme) qui furent incapables
de réagir devant une évolution aussi rapide et qui de ce fait, allaient
devenir peu à peu les
assistés du système.
- Incompris enfin, des couches
sociales plus âgées qui voyaient là une intrusion dans ce qu'elles
considéraient, peut être à juste titre, comme l'univers inadapté d'un
nouveau
misérabilisme social. Cet état d'esprit fut d'ailleurs très
largement entretenu, comme on l’a vu au chapitre VIII, par les chiens
de garde médiatiques et les positivistes de tout poil, des gens férus
d’Histoire comparée et très certainement capables à partir de là, de se
faire instantanément une idée précise et dynamique des situations
historiques en cours.
A la lumière de cette démarche régulatrice, nous nous devons de faire,
chacun où il le peut, la somme de toutes les tentatives de sauvegarde
ou de compréhension des phénomènes "antisociaux", antérieurs à « Mai 68
».
Par delà ce travail de mémoire et de régulation, nous devons essayer
aussi de comprendre comment un pays ou une société donnée, ont pu subir
une transformation aussi intolérable et ce, dans tous les domaines de
la vie courante. Ceci bien sûr, sans tenir compte des points de vue
bornés des nombreux rétrogrades, ces tenants attardés d’un
productivisme totipotent, gaspillant toutes les énergies disponibles au
fonctionnement sans faille de cette machine infernale, lancée à plein
régime.
- Comment par exemple, une flopée de
sénateurs qui ne savent pas
comment fonctionne un ordinateur, ni écrire une seule ligne de
programmation, peuvent-ils encore et toujours décider de cette marche
forcée, une marche forcée qui intègre pourtant dès aujourd'hui à la nature démentielle de son développement
des
dimensions hautement stratégiques pour l'avenir des populations.
-
Comment des «
intellectuels » et des universitaires, eux-mêmes
largement dépourvus de tout jugement autonome, peuvent-ils encore et
toujours continuer à ensorceler les peuples par l'intermédiaire ou par
la manipulation des médias (dans notre esprit, les médias sont
uniquement en attente de distractions: et hop! petit carnage par
ci,
petit carnage par là, etc.) ?
- Comment des ministres, qui sont sous beaucoup d'aspects les tenants
de la quatrième république (sinon de la troisième: la politique se fait
à la corbeille !), peuvent-ils sans arrêt nous entretenir de la
nécessité de
produire encore plus, alors que parallèlement toutes les
ressources sont en train de s'épuiser ?
Pouvons nous ici, poser la question suivante: après le Train à Très
Grande Vitesse (le TTGV), qu'y aura t’il de plus rapide ou qu'y aura
t’il d'autre ?
Encore plus de production électrique ?
Encore plus de transport ?
Encore plus de mécanique ?
Encore plus de consommation ?
Encore plus de poubelles ?
Encore plus, toujours plus ! Merci François de « Water-Closet », merci
à tous les Duschnoks ou Pierre Jacques Marseille de ce genre, merci
monsieur HélieCoehn, merci Mr Content. Merci à vous tous, de vous être
attaqués avec autant de hargne (de haine ?) aux syndicats, des
syndicats qui eux, retardaient tout. Merci de décomposer encore plus
vite cette société. Merci de projeter votre nouvelle intelligentsia
anti-prolétaire vers ce type de désastre annoncé ! Continuez à produire
votre venin apocalyptique, ça sert nos objectifs ! (Voir en annexe le «
Rapport Stern »)
Le point de non retour, fut tout de même atteint, lors des décisions
unilatérales d'imposer à tous le tout
nucléaire et ceci sans débat,
simplement sous le couvert d'une évolution qui semblait être
intemporelle et irréversible : « Comment pouvait-on passer à ce
point-là, à coté du progrès ? » Pauvre tiers monde, comment vas-tu
faire demain sans uranium ? Trop c'est trop ! Ne le voyez-vous pas, ou
êtes-vous si faibles ?
Pour la plupart des « responsables », cette voie transcendantale du
rejet global indiquée par les transfuges était bien trop dangereuse
pour être empruntée. Ils eurent donc la vie belle ! D'une part, parce
que certains de ces transfuges ne pensaient alors qu’à décomposer ou
qu’à pervertir les structures sociales existantes (par la recréation
festive et les plaisirs liés à l'utilisation de nouvelles drogues) et
d'autre part, parce que certains autres tentaient d'imposer des
directions diamétralement opposées à celles en vigueur: la lenteur face
aux cadences infernales, l'oisiveté face à l'actionnariat, le sexe face
au dogme, le don face au fric, le slowfood face à la malbouffe, etc.
Dans ce cadre relativement binaire, le transfuge est un peu le traître
de la cause commune et à ce titre, il a droit à tous les coups de
bâtons et aux commentaires les plus fertiles. Il est dans une réalité
très dure à assumer car il est toujours en porte-à-faux par rapport à
la moindre saute d'humeur des productivistes.
En effet, le marginal ne
profite t’il pas, au même titre que les autres, du bien-être commun, de
la défense, du progrès et de la justice sociale ? Ne se déplace t’il
pas comme tout le monde en voiture ou sur une moto ? Que veut-il à la
fin ? Qu'on le sache vite, avant qu'on ne le pende !
Toutefois, malgré la vindicte publique de la cohorte des esclaves
modernes encensant leurs assassins et
tourmentant nos activistes, la
réflexion sur le rôle des transfuges aboutit pourtant à un
questionnement équivoque mais fécond:
- Transfuges de leur milieu familial,
bourgeois, prolétaire ou
progressiste, dans le sens le plus large (le mieux admis), ils
tentaient de réintégrer un ordre ancien en retournant à la campagne.
Pourquoi ?
- Transfuges des valeurs familières les plus communément admises autour
d’une volonté farouche de créer une pseudo identité nationale, elle
même improbable, ils essayèrent de retrouver une identité culturelle
plus proche de leurs racines, en défendant un régionalisme qui
paraissait pourtant, être devenu archaïque. Pourquoi ?
- Transfuges des notions intellectuelles qu'on leur avait administré
afin qu'ils se transforment en d’inamovibles piliers sociaux, ils en
devinrent les détracteurs les plus farouches tout en essayant d'en
rechercher l'essence non positiviste, à la lueur des mystiques.
Pourquoi ?
- Transfuges même des notions progressistes qui les avaient modelés,
ils se heurtaient à l'incompréhension des tenants de ce modèle qui
virent en eux un non sens historique alors qu’ils tentaient en fait
tout simplement de retrouver une échelle authentique intellectuellement
satisfaisante (par la connaissance des efforts du passé et de leurs
propres efforts à construire l'avenir)
Et pourtant...
Tout était là, à portée de la main.
Il suffisait de la tendre pour avoir.
Il suffisait d'obéir pour être remercié.
Il suffisait de suivre pour être accompagné.
Pourquoi comprendre, pourquoi vouloir comprendre ? Alors qu’il
suffisait simplement de dire oui à tout, afin d'avoir le droit de
mourir tranquillement de vieillesse dans son fauteuil en cuir tanné.
............................................................................
Et, tout au long de ce renoncement idéologique, la vie résonne et
vomit sans arrêt les humeurs d’une consommation effrénée, fascinant ces
noctuelles, fatigant chaque jour un peu plus ces noctuelles idiotes,
mais prolifiques. Un rai de lumière pour des milliers de déceptions,
accueillant dans ses gares étincelantes des trains entiers de fantômes
déçus, baissant la tête, marchant d’un pas si rapide qu’on les croirait
pressés de se rendre à la morgue.
Oui, et même loin de là, nous obéissons nous-même à cette misérable
débauche consumériste, comme transis d’effroi au fond de nos échoppes,
insouciants de l’Histoire qui ailleurs se charge des Tyrans,
indifférents au long poème inachevé des
atrocités dévidant leurs
cohortes de morts.
Là où l’impuissance est désespérante.
Là où la mélancolie nous attend.
Dans ces nouveaux pays (dans cette nouvelle réalité) là où il n’y a
plus maintenant que des accidents d’avions meurtriers, des Biafra
faméliques, des Vietnam arrosés de défoliants, des longues marches
suivies de terribles exodes, des guerres mondiales limitées par des
barbelés concentrationnaires, des balles faisant gicler des milliers de
cerveaux agenouillés, des révolutions avortées, des héros morts sur des
bûchers modernes de kérosène, filmés par des cerveaux dévorés par le
cancer de la ménopause scientifique, insatisfaits de tout, cherchant à
nous montrer l’atrocité la plus horrible pour nous obliger à penser
continuellement à la mort.
Pourtant, ce monde qu'on ne nous montre pas
est fait aussi d’identités refoulées, de prisons inavouables,
insoupçonnables, de barreaux et de murs indestructibles, de gardiens
sodomisant des prisonniers abêtis, abrutis, frappés à mort, rendus au
stade primaire de la survie bestiale. Il est fait d’armées entraînées à
commettre toutes les horreurs possibles, pour soumettre le reflet de la
liberté, le reflet pâle de cette volonté d’échapper aux contraintes;
pour soumettre le reflet des rêves incertains et puérils d’armées
sauvant parfois quelques ½illets.
Ce monde désertique où les roses des
sables sont coagulées par le sang des libérateurs, où les garrottages
existaient il y a peu de temps encore, tortures d’un Moyen-Âge
inquisitoire infligées à d’autres esprits rebelles par la loi du
moment, par l’instant historique, par la folie ambiante; lorsque les
revendications étaient alors lèse-majesté ou lèse-papauté, au lieu de
s’appeler E.T.A., Brigades Rouges ou Al Quaeda.
Ce monde est aussi un
monde où l’on écrase l’intelligence polytechnicienne avec des tanks, où
l’on fusille les poètes à l’aube, au milieu des oliviers (symbolique
acharnée à nous démontrer le contraire), où les guerres de religion
s’accompagnent de grèves de la faim insoutenables pour tout esprit
sensé.
Oui, ce monde est fait de génocides et de révoltes avortées, de
groupes armés vecteurs de fois nouvelles et de sauvageries coloniales
tardives et attardées. Il est fait de stades remplis de prisonniers
chantant les mains coupées et refoulant par leurs psaumes (par leurs
spasmes) les brutalités bestiales des geôliers. Il est fait d’escadrons
à la tête de mort; il est fait de chapes de silence noyées de peur,
submergées par la peur, transgressées par une épaisseur inavouable de
peur, et par des hommes désarticulés dans des chutes vertigineuses.
Ce
monde de terreur nucléaire et médiatique est fait de génocides tus ou
revendiqués et pour nous il s’appellera à jamais: «Monde des Minorités
Opprimées». (MMO)
(...)
Guernica
Sabra et Chatilla
Tall al Zaatar
Liban
Afrique du Sud
Afghanistan
Cambodge
Kurdistan
Ouganda
Amérindiens
Katin
Auschwitz
Juifs soviétiques
Arménies
Chilis
Zaïres
Rwanda
Irak
Tchétchénie
Guaranis
Lapons
Tibet
Twin-Towers
Mazâr-e charif
Darfour
Ossétie...
(...)
|
Et il est soutenu depuis toujours par le regard des filles pubères,
celles qui déjà admirent dans le secret de leurs fantasmes, l’homme qui
va naître en leur sein. Celui qui sortira de leur éprouvette.
Malgré des réactions qui sont encore floues, elles savent pourtant qui
va s'extraire de cet antre et de quelle manière s’émanciperont
les possibilités données; prévoyant les combats, sauvant les
apparences, servant ces inepties en leur donnant un sens - Sens qui
s’appelle gloire ou oubli - adaptant ce bordel, reléguant toute
conquête à un jeu de marionnettes déchues, transformant la spirale en
attente, soumettant, enfin, d’un seul regard, toute équivalence, toute
velléité de sursaut et valorisant l’effort, quel qu’il soit.
Mais déjà
soumises à ce tiraillement continuel, à ce déchirement des volontés, à
cette douceur qui n’est autre, qu’une forme indifférente de violence, à
ces jeux qui deviendront bientôt indécents et cruels, les soutenant
jusqu'à la guerre. L’amour n’étant dans ce cas-là, qu’une compensation
infime à cette guerre, un peu de repos pour cet éternel soldat, un
dérivatif à l’ennui qui pourrait naître, mais aussi un terrible combat
entre les idéaux qui s'émanciperont de cette chimie des corps et des
idées. Qui s’émanciperont aussi de cette forme de rêve... qu’est la
réalité.
Car le rêve fait tout de même partie de la vie et le plus fréquemment
nous ne vivons que des rêves, rêvant les réveils brutaux et sordides,
rêvant ces chambres dégueulasses salies par le passé, souillées
d’excréments, dégoulinantes d’urine et de crachats. Rêves ressemblant à
cette trajectoire si peureuse, la retraçant continuellement. Adrénaline
acheminée vers les pores par des couteaux salis de sang humain ou de
b½uf. Urée transmise à la vessie par une trouille terrible, une
trouille organisée par des niveaux conceptuels primaires, n’ayant plus
aucun sens du bonheur, de la vie même, n’ayant pour but qu’une survie
bestiale et avinée. Ammoniaque indignant les narines, soulevant le
c½ur. Usure de ces poumons par d’abominables mégots qui maculent le sol
et les murs d’une rage nihiliste incroyable.
Jusqu’au jour où en désespoir de rêve, quand tous les autres prétextes
auront été condamnés d’office, quand pour ainsi dire, il n'y aura plus
d'issue pour convaincre l'Histoire, on entendra alors près de nous le
bruit des bottes ferrées déchirer à nouveau le silence nocturne et on
verra comme à la parade, de nouvelles silhouettes de fer se figer dans
un garde-à-vous impeccable, dans l’attente des prochaines hécatombes.
Quand on se remettra ici ou là à cacher l’homme qui doit naître, que
l’on recommencera à castrer ses érections et à organiser sa discipline
au fond de quartiers belliqueux; quand on fera renaître les premières
passions au sein d’une promiscuité préfabriquée, quand on redonnera à
quelques-uns le pouvoir de nier la vie, le pouvoir de détruire cette
perfection, d’arrêter le transit de cette palpitation. Quand on
traquera la bête au son d’une trompette, à l’ombre de drapeaux
inusables et d’institutions véhiculées par d’admirables héros morts
sous le régime de la peur.
Oui, dans ce coma social, on sentira
profondément que les hommes sont soudainement à nouveau prêts à tout
pour survivre, prêts à tout pour réaménager leur asile terrestre.
Virilité latente. Morsures de loups. Acharnements despotiques.
Bestiaire sanglant. Patries des cinq sens.