logo  Bonjour ! Vous êtes sur le site des nouvelles formes de pensée et d'écriture.


       Les objectifs        Le tapuscrit        Les hyperliens       Les corrections       Le Blog        Les enjeux

  Que faisiez-vous pendant ce temps ?

Chapitre XIII
CHAPITRE XIII




Tu ne peux pas savoir les heures que j'ai passé à méditer en solitaire dans cette maison isolée.
  

Mais me direz-vous, cette maison que vous cherchiez à retaper dans ce milieu rural déserté, comment était donc cette maison ? Il paraît que c'était une ruine, qu'il n'y avait pas de planchers ou qu'ils étaient pourris, qu'il y avait maints trous dans le toit, qu'il n'y avait ni eau, ni électricité, que les cheminées était démolies, que les murs étaient tellement troués qu'on y voyait à travers et que les ouvertures n'avaient ni portes ni fenêtres ?

Je vous dirais, c'était bien ça la triste réalité de notre quotidien ! ()

Et ce qui nous avait au départ le plus enthousiasmé, c'était qu'elle était comme çà, avec un bon mètre d'épaisseur de lierre accroché à ses murs, du lierre dont les souches biscornues les traversaient de part en part. Je crois que ce qui nous avait finalement le plus attiré, c'était que même à l'intérieur, on avait encore l'impression d'être dehors car les branches des sureaux ainsi que les fougères rentraient de tous cotés. Il faut dire que dans ce nouveau décor, cette situation privilégiée nous évitait d’avoir à transporter tout de suite nos plantes vertes ou d’en faire rapidement pousser afin d’avoir un peu de verdure à l'intérieur.

C'était aussi une sorte de bâtisse en trompe l'½il car pour les seuls 25 m² de façade, cette maison faisait 150 m² au sol, surface à laquelle il fallait ajouter un rez-de-chaussée rehaussé et un étage. On le voit, cet ancien état de délabrement et cette immensité laissait prévoir une activité fébrile pour la retaper.

Sur un des coups de tête qui feront les délices des futures conversations au coin du feu des longues soirées d'hiver qui nous attendent, nous décidâmes d'aménager tout de suite dans cette ruine; ceci sans même essayer de faire une quelconque estimation des travaux à réaliser, ni d’ailleurs de ce que cela pourrait nous en coûter. Heureusement, car bien des années après, j'en suis encore à finir les derniers crépis extérieurs et à échafauder des plans pour réussir à achever ce qui restera mon ½uvre d'art, tant au niveau des concepts, qu'au niveau de l'aménagement de l'espace, et... du sens à donner aux actions libertaires.

Voilà, situons les faits dans le temps. Nous sommes en 1972. C'est Pâques. Il fait beau, très beau. Nous avons un lieu désert, une ruine et une tente. Nous planterons la tente dans la cave de la ruine... Car les nuits sont encore fraîches et les petits pourraient bien prendre froid. C'était vraiment une époque épique, et nous avons vraiment vécu d'amour (qu'est ce que l'amour ? Une abstraction de plus ?) et d'eau fraîche (qu'est ce que l'eau fraîche ? etc.), quand il n'y avait pas de vin...

Sans nous commotionner outre mesure, nous passâmes tout de suite à l'action et nos premiers travaux furent à la hauteur de nos connaissances en maçonnerie et en menuiserie. Tout d'abord, nous bouchâmes toutes les ouvertures avec de vieilles portes et de vieilles fenêtres dont nous avions refait les cadres et les montants. De vieux chiffons trouvés aux poubelles, servirent à éviter les courants d'air qui passaient à travers les murs et les planchers. Ce faisant, nous commencions aussi à retaper l'Histoire.

Toute une série d'ustensiles de cuisine nous servit à récupérer l'eau de pluie, je veux parler ici de celle qui tombait à l'intérieur. Certaines gouttières on l'a vu, avaient même parfois besoin de récipients grands comme des lessiveuses afin de parer à leur impétuosité, d'autres de simples casseroles. Les nuits de pluies sans lune, il n'était pas rare, quand on se levait pour aller satisfaire une envie pressante dans la grande pissotière de la nature, il n'était pas rare disais-je, de se laver les pieds en même temps. C'est très agréable l'été, mais assez surprenant en hiver.

D'ailleurs voici la plus horrible de toutes les histoires de gouttière qu'il puisse vous arriver. Après un tour d'horizon dans cette maison délabrée, nous avions déterminé que l'endroit adéquat pour que notre lit soit le plus possible à l'abri des courants d'air était un recoin de la pièce de derrière. De là, on pouvait aussi regarder chaque soir en boucle le même film sur l'écran de la cheminée. Mais cet endroit idéal avait aussi le défaut de se trouver sous une gouttière suffisamment importante, pour avoir le privilège d'être recueillie par une grande lessiveuse. Nous nous endormions là, hantés par les flammes qui rougeoyaient encore longtemps dans l'âtre, isolés au milieu du silence obscur des nuits pluvieuses, troglodytes affamés d'extase.

Nous dormions d'un sommeil itinérant, profitant de la nuit pour nous évader vers des paysages lointains et intérieurs, impossibles à visiter le jour (le jour la réalité nous estompe les possibilités de rêves). Par bonheur cette nuit-là, nous ne nous étions pas trop éloignés de notre enveloppe charnelle, car vers les quatre heures du matin, la lessiveuse remplie à ras bord par les pluies incessantes se renversa tout à coup, mise en équilibre, qu'elle avait été, sur un morceau de bois, par une main assassine. Vous voyez le tableau, cinquante litres d'eau froide, très froide, sur le lit et sur nous, à quatre heures du matin, un jour d'hiver venteux. C'est la chose la plus terrible qu'il puisse vous arriver en plein sommeil, mis à part bien sûr, une attaque cardiaque ou encore, la torture des matons à Guantanamo, dans un de ces nouveaux camps de concentration qu’a construit récemment l'espèce nazifiante en train d'émerger outre-atlantique.

Dans ce cas là plus que dans tout autre, le réveil est brutal et les réactions qui suivent un pareil affront du ciel, peuvent être, suivant les caractères, assez différentes et imprévues. La notre fut d'éclater de rire, le fou rire, ce qui finalement démontrait en nous, un sens de l'humour, qui bien que méconnu, était assez développé pour nous faire accepter une telle situation. Nous nous levâmes grelottants mais souriants et tout en rallumant le feu, nous nous mîmes à imaginer la scène avec d'autres personnages, et des plus gays, que nous connaissions; le résultat était encore plus comique et les innombrables copains que nous avions, passèrent virtuellement le reste de la nuit sous la douche glaciale de cette gouttière fatale.

Malgré ces quelques misères des cieux, il fallait passer au travail et nous voilà en train de réparer, planchers et trous dans le toit. Pour commencer, avec les 500 F (70E) d'allocation, si largement distribués par nos bons politiques, nous achèterons treize tonnes de sable. En ces temps-là, je n'avais pas encore découvert le maniement de la truelle et j'ai passé les treize tonnes de sable uniquement dans les trous intérieurs des murs de la maison et ceci à mains nues. Vous dire l'état de ces dernières en fin de journée, ce n'est rien, mais c'est surtout douloureux, car une fois qu'on a écorché le bout des doigts, la chaux attaque l'os et c'est d'ailleurs depuis ce temps que je n'ai plus que des moignons de doigts pour écrire sur mon clavier tactile. Treize tonnes, vous me direz c'est beaucoup ! Je vous répondrai que pourtant le marchand de sable passe encore de temps à autres, que nous en sommes actuellement à plus de 160 tonnes et que cela commence à peine à se voir. Certains crépis extérieurs ne sont pas finis. J'ai toutefois depuis lors, découvert le secret de la truelle, ainsi que d'autres astuces maçonniques. C’est ainsi, que je me surprends même parfois à rêver de compresseur.

Cependant nous n'en sommes encore qu'au début et, après ce défoulement primal et primitif, on est déjà plus à l'aise dans ce nouveau décor, un décor que nous avons heureusement blanchi à la chaux vive (pour finir de nous abîmer les mains). C'est déjà plus charmant et c'est environ là que se situe l'épisode de la bâche sur le toit.

Entre temps, nous avons déménagé les misérables meubles de notre héritage culturel antérieur: un vieux poste à galène, un buffet branlant, une table basse peinte aux couleurs d'un soleil psychédélique, un matelas presque éventré et quelques ustensiles de cuisine. De toute manière, dans un tel décor, un héritage plus luxueux aurait été très déplacé.

Avec une large pierre plate lissée sur une face et deux morceaux de poutre resciés, nous fîmes une table basse de cheminée. Cette table est restée plus de six ans en place, témoignage concret du lien constant nous unissant à l'âge de la pierre (polie). Tout autour de cette table primitive dans le sens le plus profond et le plus lointain de notre mémoire, nous installâmes une banquette et deux sièges « d'Ami 6 », récupérés dans une épave de voiture. Ce fut notre premier salon « Citroën ». Ensuite il y en eu un autre « d'Ami 8 », donc déjà plus moderne, et enfin un salon « Renault 4 », avant que nous ayons les moyens de nous offrir un luxueux « rotin ».

Autour de cette table et devant un nombre incalculable de verres de vin et une quantité non moins impressionnante de shit de toutes sortes, s'élaborèrent les digressions les plus épiques et les plus farfelues d'une génération perdue. Pourquoi en avoir honte ?

Cette représentation presque répugnante pour certains, n'était-elle pas portée par les idéaux les plus purs ? L'image que nous donnions ne comptait pas. Nous l'entretenions même d'une certaine manière, comme une sorte de repoussoir qui nous permettait de vérifier l'exactitude de nos convictions. Les haillons que nous portions étaient le signe extérieur de notre reconnaissance entre divers groupes. Ils nous permettaient d'une manière sûre de repousser toute tentative de récupération de la part de sphères plus conventionnelles.

Devant une telle déchéance, seules les âmes les plus charitables ou les personnes les plus éclairées, nous faisaient don de quelques miettes d'humanisme. Nous leur en savons gré au plus profond de nous. Mais devant cette décomposition sociale ou cette décadence possible, les plus ardents défenseurs de l'ordre établi, ainsi que les tenants les plus fervents de la marche forcée du progrès étaient bien obligés de remarquer les déchets de plus en plus voyants que laissait derrière lui, leur propre Système de production. Ils étaient forcés, en même temps, d’observer les limites de ce dernier et de reconsidérer la notion de misère. Ceci, entre autres, afin de commencer à mieux cerner toute la relativité de la condition humaine.

Parallèlement et pour défendre au mieux nos nombreuses utopies, nous avions mis au point quelques arguments frappants. Nous avions entrepris aussi de conceptualiser au plus haut niveau la notion de transfuge, cherchant au plus profond de nous, les moyens intellectuels de nous échapper définitivement des bas-fonds citadins, cherchant aussi des possibilités nouvelles d'évasion, loin du Système de production archaïque dans lequel on cherchait à nous maintenir de force.

Mais avant de partir définitivement sur cette voie, arrêtons-nous un peu sur l'essence même de nos préoccupations les plus intimes, car vous avez commencé à le comprendre, nous ne sommes pas là au c½ur d'un idéal matérialiste conventionnel. Il y a quelques lignes de fractures qui nous séparent des autres.

Par exemple, en habitant ainsi au milieu de l'Histoire, nous tentions simplement de faire resurgir le passé qui vous manque.

Car ce qui m'importait le plus, même si cela devait aller à l'encontre de toutes vos utopies les plus morbides, c'est ce qu'avait dans la tête le meunier, le bûcheron, le tenancier, le paysan... Ce qui m'importait vraiment comme on le verra plus loin, c'était de donner un sens intellectuel à cette recherche1, c'était de revivre réellement les efforts du passé afin de le comprendre et non pas de rester comme beaucoup d’autres l’ont fait, à l’intérieur d’une relation monographique historico-historique sans souffle et sans dimension.
Ecrire, rectifier, donner son avis