Notre
petit paradis, d'après tous les grands
mystiques qui y séjournèrent
longuement avant que d'intégrer par la suite rapidement les ordres, d'après aussi la plupart des
astrologues des plus performants
qui nous côtoient encore quotidiennement, fait partie de
l'épine
dorsale du monde. En y réfléchissant bien et en me référant à des
connaissances plus actuelles, j'en déduisis que, puisque
géologiquement ce lieu-dit est situé sur une des premières terres
émergées, des lieux où l'on retrouve ces derniers affleurements
cristallins
précambriens, ou tout au moins primaires, ceci pouvait
aisément expliquer cela.
Bien que transgressées plusieurs fois par une
Mésogée en gestation
perpétuelle, ces montagnes dites noires, avaient donc de droit,
l'infortune de se considérer comme la fonction cérébro-spinale d'une
partie de la planète.
Pour mieux cerner l’endroit, les travaux effectués par d'experts
géologues (de la confrérie des pierres ponces), ont donné de ce lieu,
des
cartes d'une étrange clarté et d'une telle richesse que nous
restons encore pantois devant autant d'exactitude.
En effet, bien que
nous considérant nous-mêmes comme les premiers habitants de ces
contrées sauvages et ceci, depuis plus d'un demi siècle, force est de
constater que les méthodes d'investigation les plus pointues ont réussi
à en percer bien avant nous, tous les secrets naturels et que, nulle
ressource ou composante de cet îlot de verdure perdu n'a pu échapper à
la perspicacité de nos chercheurs, que ces derniers soient chauves ou
chevelus.
On s'aperçoit dès lors, (ce qui tend à nous rendre modeste, mais
parfois quelque peu hargneux), que dans le coin le plus reculé de la planète, le
moindre
caillou a été répertorié d'une manière systématique et que,
finalement, il est vain de chercher un filon sans se faire ridiculiser
par une de nos grosses têtes universitaires qui veut avoir le dernier
mot.
En restant sur le pas de ma porte, j'ai pu vérifier maintes fois de la
sorte que ce qui attire le plus un chercheur dans un endroit
quelconque, ce n'est pas la beauté esthétique d'un site particulier,
mais le nombre d'atomes qui le composent. C'est ainsi que pour une
surface déterminée d'un
kilomètre carré (qui prend en compte les
courbes de niveau), nous avons pu leur faire calculer, à deux atomes
près, le nombre exact de ces derniers structurant notre propre paysage
géologique et ceci sur une profondeur qui atteint le magma; chiffre qui
doit rester encore secret, en vertu d'un accord passé auparavant, entre
les chercheurs et les militaires ceci, lors du trente deuxième congrès
de la soumission des peuples à l'ordre établi.
Admonesté par les tournesols de tous bords, je me mis z’à la recherche
du seul caillou restant non encore répertorié: je veux parler ici, de
la
pierre philosophale. Je découvris ainsi, que la seule façon
d'exprimer la beauté unique d'un paysage demeurait la manière
d'utiliser les mots qui servent à sa description et que la carte la
plus parfaite qui soit, ne rendrait jamais compte de la véritable
identité d'un lieu précis. Ainsi:
...
...Les courbes des montagnes qui nous entourent, érodées depuis la nuit
des temps, forment des lignes douces que l'on peut (certains y tiennent
vraiment ) comparer à des courbes féminines (surtout en zone
d'affleurement précambrien et en présence de trilobites...).
Le dessin en est précis mais un peu irréel tout de même.
La somme des couleurs peut équivaloir à une structure.
Une structure fixe.
Un composé rivé et projeté de telle manière que la réalité (physique)
n'a pas de prise.
Loin d'un épanouissement quelconque.
Loin d'une sérénité introuvable,
l'équilibre en est extérieur.
La structure peut définir un paysage visionnaire dont les nécessités
sont gommées.
Pourtant le dessin y domine encore la couleur.
Splendeur totale de la nature qui nous inonde
- calme complet -
Paix de ce lac entouré de collines douces aux formes arrondies.
Plénitude des instants, plénitude du tout.
Silences.
Silence plein de cette vision qui empêche le silence,
qui empêche le vide ou le néant.
Importance des yeux plus importante que tout.
Regards imprégnés de tous ces paysages
et de tous ces visages.
Vision du Beau.
Nécessité de boire toutes ces eaux de source, toute cette limpidité.
Vision unique ou partagée ?
Passage ou réalité ?
Frontière franchie ou géologie fixe et éternelle ?
Comme vous le voyez, l'impact de ces lieux peut avoir une fonction de
révélateur, utilisant les instruments d'une alchimie secrète qui
distillerait dans la tête de chacun quelques gouttes de poésie secrète.
Cependant, avant d'aller plus loin dans ce sens, nous allons situer
géographiquement et stratégiquement ce lieu.
La commune du roncier ainsi que le village éponyme qui berce la mémoire
collective des nouveaux anciens qui les fréquentent désormais, doivent tous deux
leur nom moderne, à la présence d'une masse impénétrable de plantes de
ce type qui ont envahi dernièrement les ultimes surfaces anciennement
cultivées.
Située au nord/ouest du département de l'Eros, la commune
fait partie des derniers contreforts de la Montagne Noire, au sud/est
de celle ci. Elle se trouve donc, par le plus grand des hasards, sur
une des premières terres émergées puisque, sur ce socle rugueux, des
mesures d'âge absolues, ont fait remonter au Précambrien la présence de
certains gneiss. Au sud se trouve
la plaine des culs bronzés de
l'Europe, un ancien bassin de sédimentation. Au nord/est les monts de
l'Espionnite et plein nord, une vallée riante, surnommée depuis peu,
"le Vallon des escoubilles". Au-delà, la ligne bleue de la Haute
Occitanie.
On le voit, la commune se trouve donc en zone de demi montagne. Les
altitudes varient de 400 à 800 mètres au dessus du niveau de la mer. Il
y a deux versants, un méditerranéen au sud vers lequel nous penchons,
et au nord, un versant plus arrosé, dit le
"pissadou de Nostre Segné",
en référence à d'anciennes latrines divines (d'autres plus modernes,
l'appellent de leur coté, le "trou du cul de la vierge" certainement en
référence à d'autres types de "cagadou", ou pour d'autres raisons,
encore plus obscures. Sait-on jamais ce qui se passe dans la tête des
gens !).
La différence de végétation y est bien marquée, puisque l'on
passe sur quelques centaines de mètres du lavandin à la callune et de
l'alaterne au coudrier. (Les éleveurs de lapins apprécieront).
Au point de vue climatique, on bénéficie d'un coté de la maison, d'un
bon ensoleillement et de pluies cévenoles de plus en plus abondantes au
fil du temps et de l'autre coté, des dernières précipitations venant de
l'atlantique. Les plus pessimistes disant qu'on subit tous les
désavantages de ces deux types de climats. Le vent y est constant et
assez violent. En hiver il peut y avoir de la neige sur nos points de
vue les plus élevés alors qu'il pleut simplement une centaine de mètres
plus bas, dans les bas-fonds ténébreux, dans l'antre de vos scènes (de
ménage).
Les cours d'eau ont un débit irrégulier et fantasque. Ils
s'enterrent souvent (pour jouer avec nos nerfs) pour ressortir quelques
centaines de mètres plus loin (les petits coquins !), privant ainsi
d'eau les derniers poissons-chats, issus d'un autre type de carnage
(les chatons noyés se transforment régulièrement en poisson-chat).
Privant aussi la race des vainqueurs de ce peu de fraîcheur estivale,
entretenu par l'espoir de vivre perpétuellement, à l'intérieur d'une
piscine.
La flore sera marquée par l'influence du climat, par l'exposition ainsi
que par les dénivellations. On trouvera sur le versant méditerranéen,
un maquis ou une garrigue formée de chênes verts ou Kermès(se) qui, en
zone d'abandon des pratiques agricoles (c'est à dire un peu partout),
prend le pas sur une lande formée d'herbes sèches de faible valeur
alimentaire pour les derniers moutons de passage, une herbe fine mêlée
au thym et à la lavande vipérine (quel joli nom !).
Sur les autres versants et suivant l'altitude, on trouvera comme arbre
ou arbustes: le châtaignier, emblème de la région, le chêne
pubescent(?), le hêtre car nous avons depuis longtemps déjà créé une
association de défense des (h)êtres, le frêne qui roule doucement,
trois types d'érables, dont l'érable champêtre et l'érable de
Montpellier, et je tiens à me plaindre ici qu'il n'y en ait pas un seul
qui pissât du sirop. Il
y a aussi du buis, du houx pour le manche de ma pioche, quelques
coudriers, des alisiers (il doit se tromper, ça doit être des alizés),
du merisier vrai (le cerisier est un faux-cul), des noyers entre deux
eaux, du prunier (on n’en a rien à secouer), du prunellier, de
l'aubépine (uniquement si on a la forme et le matin de préférence),
quelques robiniers en train de se poser des problèmes, de la
bourdaine(?), du fusain d'Europe pour tailler les crayons, des
genévriers à la merci des mouches. Il peut y avoir aussi des pommiers
et des poiriers redevenus sauvages. L'amandier et l'abricotier y
viendraient peut être, mais pas l'olivier, sauf à y transplanter des
hybrides montagnards. C'est aussi la dernière limite pour le figuier.
N'oublions pas quatre types de genêts dont un arborescent, l'églantier
et le roncier. Le chêne d'Amérique et le séquoia y poussent avec
succès, ainsi qu'une variété de marronniers géants. Quelques variétés
de peupliers et de saules y trouvent également asile, sans parler de
tous ces résineux transplantés par les soins de cerveaux estropiés:
pins méditerranéens, douglas, mélèzes, cèdres pleurant leur pays
d'origine, etc. Les pins sylvestres nous enchantent toutefois avec
leurs formes biscornues. Le sureau y pousse agréablement dans les trous
du nez des ruines avoisinantes ainsi que les lierres de tous poils qui
auraient tendance à étouffer les ruines.
Du coté des plantes on trouve une très grande variété qui va jusqu'à
former, sur les terrains encore entretenus, de petites prairies où
l'herbe arrive à être assez grasse et assez riche. Sans vouloir dresser
ici l'inventaire complet de toutes les espèces présentes, ce qui nous
demanderait une étude de flore approfondie, nous nous pencherons tout
de même sur la présence de la vesce, de la mauve, du plantain et de la
marjolaine, du trèfle, de l'acanthe dans nos jardins et de l'anémone
dans les bois. L'angélique y passe quelque fois, l'asperge s'y émeut,
l'arum se fait des tâches, l'asaret est en arrêt, l'aspérule est
odorante, la benoîte pas si commune et la berle montre ses larges
feuilles. Le bleuet s'y fait rare de même que le baguenaudier. La
bryone est dioïque, le bouillon blanc et la bourrache ont le même
problème. La bourse à pasteur compte ses sous, la bugle rampe, la
camomille se fait des tisanes, la capucine y donne ses câpres. La
callune inspire nos tableaux, la fontaine des oiseaux à une fonction
différente, les centaurées s'affrontent, le catarache s'enrhume. On y
trouve aussi le chardon des bénis oui oui, le chèvrefeuille qui
embaume, la chicorée si sauvage, le coquelicot qui s'énerve et la
ciboulette qui perd la boule. La colchique cherche à nous empoisonner,
le cresson cherche une fontaine, le chardon se marie, le chiendent
attaque les pieds de cumins dans les prés, les dents de lion bouffent
leurs racines, la digitale nous soutient de tout c½ur. La fumeterre s'y
essouffle, la fritillaire se déguise en tulipe, les genêts font des
balais ou vont chez le teinturier, le fusain croit à l'Europe, la
marguerite joue à la grande dame, la giroflée sort ses flammèches. Il y
a aussi des herbes qui servent à consoler les femmes battues, d'autres
qui vivent chez robert, d'autres encore qui servent aux chats. Le
hièble joue au sureau, la knautie fait le tour du champ, l'impatiente
s'impatiente, la jonquille y émet du jaune, la joubarbe devient folle
sur le toit, le lierre atterrit, le lavandin se parfume, la mauve se
pastélise, la mélisse prépare son vin, le mouron se fait du mauvais
sang, la menthe prépare le thé et le millefeuille épuise ses cahiers.
Le millepertuis bouche ses trous, la mousse fait des tapis, les lichens
ne se rasent plus, le muguet y est rare, le perce neige cherche ses
skis, les orchidées se font recenser en vue des prochaines élections,
l'oseille sort son fric, l'ortie sort ses piquants, les pensées
deviennent sauvages, la petite centaurée cherche à grandir, la
pâquerette se fait discrète, la pulmonaire est essoufflée, le plantain
s'en sort bien, la prêle cherche l'eau, la primevère nous fait coucou,
la renoncule est scélérate, le
romarin, la sauge et le serpolet préparent nos plats en sauce, la
saponaire se lave tôt, le séneçon c'est pour les lapins. La scolopendre
joue les troubles fêtes, les soucis des champs s'y créent des
problèmes, la verge d'or quelle utopie, le tussilage s'en prend au
temps qui passe, la valériane et la véronique se font des cachotteries
en douce, la violette nous enivre, l'aconit est dangereux, la buglosse
nous tire sa langue de b½uf, la datura nous joue des tours, l'½illet se
fait poète, la carline est accole, l'usnée se fait vieille et barbue,
la pivoine et le lys martagon sont surveillés de près et la pervenche
nous enchante.
Voilà pour les plantes. Imaginez la qualité des fromaes !
Passons aux champignons. Nous allons trouver bien sûr l'amanite
phalloïde, le cortinaire couleur de sang, le paxille enroulé, l'amanite
panthère, le bolet de Satan, l'entolome livide, le clitocybe inversé
(?), le clavaire doré, les pancoles, l'amanite tue-mouches, certains
psilocybes, l'amanite des césars, l'amanite citrine, l'amanite épaisse,
l'amanite vineuse, l'amanite vaginée (?), la lépiote élevée, la lépiote
déguenillée, la lépiote pudique, la plutée couleur de cerf, le rosé des
prés, le rosé des bois, la psalliote jaunissante, le strophaire
vert-de-gris, le lacrimaire velouté, l'hypolome en touffes, le coprin
noir d'encre, le cortinaire élévé, le cortinaire remarquable, les
meuniers qui dorment, les mousserons qui moussent, le collybie à large
feuille, le mycène pur, le clitocybe laqué, le clitocybe laqué
améthyste, le clitocybe anisé, le clitocybe nébuleux, le tricholome nu
qui a perdu son tricot, le tricholome de la Saint Georges, le
tricholome prétentieux, le tricholome terreux, les pleurotes, les
armillaires couleur de miel, la russule charbonnière, la russule
verdoyante, la russule émétique, la russule jolie, la russule fétide,
la russule à pied violet, le lactaire velouté, le lactaire délicieux,
le lactaire brun, l'hygrophore écarlate, le gomphide glutineux, le cèpe
de bordeaux, le bolet à beau pied, le bolet à pied rouge, le bolet à
chair jaune, le bolet rude, la langue de b½uf, les pieds de mouton, les
trompettes de la mort, la girolle, le satyre puant (?), la vesce de
loup, les oreilles de judas, la pézize orangée, la morille blonde et
bien sûr la truffe.
Pour les oiseaux la liste sera peut-être un peu moins longue. On y
reconnaît pourtant certains rapaces tels les circaètes, les busards,
les faucons et maintenant l'aigle de Bonelli. Il y a aussi, quelques
alouettes qui s'admirent dans nos miroirs, les palombes en grand
danger, une bécasse de temps en temps, trois types de bergeronnettes
près du troupeau, des bouvreuils, des bruants qui jaunissent, quelques
chardonnerets près des piquants. La chouette y est chevêche ou nous
effraie, quelque fois elle nous hulotte la tête. On a vu passer des
cigognes et très peu de courlis, quelques corbeaux y ont élu domicile
de même, que le coucou. La fauvette y est douce, le geai jaillit, la
grive est musicienne, le gros bec y hiberne, le hibou fait la gueule,
l'hirondelle est de passage, la huppe est huppée, le martinet y crie,
le merle nous surprend, la mésange est charbonnière, le pic est noir et
parfois vert, la pie monte rarement jusque là, le pigeon vient ramer,
le rossignol nous enchante, le rouge gorge et le rouge queue sont
oranges, la sittelle s'aplatit, les troglodytes se font discrets...
Chez les autres types d'animaux nous trouverons:
Le renard, le blaireau et la belette, le lièvre, le garenne, la tortue
dans un bocal, la genette, la fouine, la biche, la couleuvre, la
vipère, le lézard vert, le sanglier, le mulot, la musaraigne, la taupe,
le rat des champs, deux pipistrelles, l'écureuil, le loir, la
salamandre, la grenouille, le crapaud, le taupin, le taon, l'araignée,
le sphinx, le scolopendre, le scarabée, le bousier, la courtilière, le
puceron, la fourmi, la piéride, le phalène, le phasme, l'écrevisse,
l'escargot commun, d'autres moins communs, quelques moustiques, la
luciole, la libellule, l'abeille, la guêpe, le grillon, le frelon, le
mille-pattes, l'épeire, le doryphore,
la sauterelle verte, grise, bleue, jaune et noire, bleue et grise,
rouge et grise, la grande sauterelle, le criquet, la chenille
arpenteuse, le bourdon (qui ne l'a pas!), la fourmi volante, la blatte,
la mouche bleue, verte, grise, brillante, marron, noire, commune, à
merde. J'arrête là cette énumération débile.
« Et c'est tout cela que vous voulez détruire ? Non mais ça va pas !
Avec vos bulldozers, vos résineux, vos pesticides, vos fongicides, avec
vos bottes ferrées, vos niveleuses, vos rouleaux compresseurs,
Et votre mauvaise humeur.
Par pitié, arrêtez ! »
Pour expliquer peut-être cette mauvaise humeur récurrente, il faut dire
que l’idéal jamais atteint (sauf peut-être par les Amérindiens ?) des
relations Homme/Nature (la nature est en général, indifférente à
l’homme), a facilité chez les Humains (certainement par horreur des
contraintes que leur imposait continuellement cette même Nature), la
création de représentations toujours plus défavorables à cette
dernière.
C’est ainsi que dépassé depuis toujours par l’immensité et la
complexité de tout ce qui l’entoure, l’Homme n’a jamais su faire dès
lors autre chose qu’à se mettre à gérer des espaces de plus en plus
restreints, des espaces aujourd’hui confinés qu’il se transmet par acte
notarié.
Pour tenter de comprendre cet itinéraire définitivement borné, pour
tenter de comprendre cet étrange cloisonnement des sens et du cerveau,
imaginons un instant, lors de sa genèse hagarde, cet
être vagabond
cherchant à se désengluer des glaises de son passé bestial.
Regardons-le surgir ou plutôt s’extirper de la gangue des aubes
apocalyptiques de sa naissance et observons-le attentivement poser un à
un ses jalons, premières barrières défensives contre une nature qui
l'empêche infatigablement de s'exprimer complètement. Toutes ses
facultés créatrices sont alors mises au service de cet unique but. En
même temps qu’il intériorise les dangers (par)courus, il les vainc à
coups de barrières et chacune d’elles restera à jamais, inscrite dans
un des recoins de sa mémoire. Puis, petit à petit, il perfectionne ses
différents systèmes, il les peaufine. Pourtant, il est resté poilu,
hirsute, il est dégueulasse, il ressemble encore à une bête et il
gardera désormais en mémoire qu’il ressemblait à une bête, jadis...,
quand il faisait également partie de la nature.
Puis, ses barrières
délimitent un espace de plus en plus précis et il le fait savoir de
vive voix, il le claironne, il se met à revendiquer sa possession
terrestre et cela le rend fier. Ensuite il commence à le faire noter,
il institutionnalise son os. D’ailleurs, la plupart du temps, il se
contente maintenant de cet os, il le ronge, il en est jaloux. Cet
ancien cannibale est peu à peu devenu une sorte de rongeur nécrophage
et ce long chemin métaphysique soulève alors en nous, le voile de
l’enfer, le dénude à nos yeux.
Nous venons aux côtés de ces instincts primaires et pendant quelques
trop courts instants de vérité secrète, de survoler tout un pan d’une
Histoire humaine restée continuellement escamotée, une Histoire avec
ses zones obscures, ses boyaux sombres, ses dédales d’abstractions
inextricables, ses buts irraisonnés, entremêlés de doutes et
d’angoisses, des buts entremêlés de projets d’angoisse. Avec lui, nous
nous sommes arrêtés quelquefois stupéfaits en voyant les
extraordinaires possibilités d’une compréhension totale des choses;
devant cette évidence matinale, devant ces bouquets de chants
d’oiseaux.
Heureux d’être aussi parfois près de ces rossignols quêtant
l’oubli dans un absolu total, guettant simplement la compagne future de
leur chant solitaire – un chant non pas émis pour accompagner cette
étrange solitude hébétée qui nous fait trébucher les soirs de deuils –
mais un chant solitaire intégral. Un chant dédaigneux d’autres chants.
Ruisseaux de notes dans un corps si frêle, dans une gorge si menue,
enchantant pourtant nuits et jours de roucoulades joyeuses à donner le
vertige. Ce vertige qui désormais nous manque...
Et, avec la clairvoyance rationnelle et la dureté d’esprit qui nous
caractérise tous, prostrés dans des
états mentaux qui la plupart du temps, vont à l'encontre de toutes nos
options les plus subjectives, nous avons fermé les yeux, parfois en sanglotant,
puis nous avons tourné la tête et poursuivi notre chemin, pour nous
retrouver un peu plus loin dans le tumulte de la multitude. Là où l'on
ne trouve jamais la moindre main tendue, des yeux limpides ou un
sourire pur. Là où l'ironie des contacts humains se traduit tout à
coup, par des coups de klaxon qui remplacent dorénavant les salutations
distinguées; là où les bousculades tiennent lieu d’amicale bienvenue et
là où l’état de siège policier a remplacé peu à peu l’attention
bénévole des infirmières... Là où les raclements de gorge des matins
besogneux, vomis par des toux salies de crachats tentent de s’accorder
avec le chant des pinsons mis en cage; là où les rêves d’ambition
accompagnent pas à pas les hommes tout au long de leurs chemins
d’acceptation - humilité suprême confortant perpétuellement ce non-sens
historique, confortant depuis toujours, cette hégémonie de quelques-uns
sur des milliers de cerveaux - Labeur insensé qui perturbe tout sens
critique et qui soumet à un va-et-vient incessant des personnes pour
qui l’intérêt de l’argent a désormais remplacé l’intérêt de la vie, des
personnes parfois prématurément usées qui agonisent au jour le jour,
dans les derniers soubresauts d’une culture décadente.
Ce gué pour les rêveurs. Ce passage entre deux mondes, l’un fait
d’abstraction cosmique, l’autre d’un linceul lacté; ce passage il faut
le dire, est terriblement sale, et bien que les intempéries s’acharnent
régulièrement à tout laver, la trace reste nette. Qu’avons-nous voulu
vivre ? Qu’avons-nous donc rêvé pour qu’une telle épreuve nous soit
finalement léguée ? Sommes-nous uniquement les légataires universels
d’un rêve inachevé, souillant le plus souvent la nitescence de crachats
et de sperme, cautionnant l’unique solution, pavant l’enfer, soumettant continuellement
aux regards des autres, des images irréfléchies ?
Pourtant, pour nous accompagner le long des évasions secrètes, le
théorème printanier a toujours été là. Il était là d’ailleurs bien
avant nous, pollinisant inlassablement les séquelles, introduisant ça
et là le bordel dans cet ordre fictif, induisant des inflorescences
fécales, distribuant de nouveaux rôles, s’aidant de tous les artifices
pour toujours mieux prouver la réussite de cette extraordinaire
alchimie - banals et ternes reflets des frondaisons fleuries - Il était
là, pour s'enorgueillir de réussites postérieures, des réussites
anticipées par des poussières odorantes allergiques depuis toujours à
l’odeur des poumons encrassés, des poussières de fleurs
sempiternellement amenées par des brises flatteuses ou par des vents
contraires, mais le plus souvent transportées par d’accablantes
tourmentes, des tourmentes, elles mêmes accompagnées de gros nuages
noirs échappés de leur maison mère… et parfois aussi associées à de
mystérieuses raisons de vivre.
Création de matière. Géotropisme
infernal. Géométrie vagabonde.
Et ces fleurs sont faites pour nous !...
Désinence printanière.
Comparaison imparfaite.
Ce qu'il y a d'extraordinaire, dans cette vie isolée, dans ces lieux
qui nous semblent maintenant être éloignés de tout progrès, c'est que l'on
pourrait montrer qu'ici, la baisse de la biodiversité relative des espèces
animales et végétales encore présentes (sans parler de cette nouvelle
mythologie qu’est
la perte de l'esthétique rural), n'est pas liée à un
rapport défavorable causé par une population humaine qui prendrait
définitivement le dessus sur ces mêmes populations animales et
végétales. Non, cette baisse de la biodiversité est directement dérivée
des pratiques de prédation de plus en plus actives ou simplement à
relier aux logiques de développement mono-factorielles qu’imposent les
hommes à ce même milieu (et qu’ils nous imposent par la même occasion).
Les quelques données statistiques qui suivent et qui sont tirées d'une
monographie locale 1, situent la présence des êtres humains et des
animaux domestiques depuis leur plus forte concentration, c'est à dire
aux alentours du début du 19ème
siècle, à nos jours. Ces chiffres sont localement exemplaires du
phénomène d'abandon des pratiques agricoles, phénomène dont on peut
visualiser l'ampleur sur le tableau et le graphique suivant et qui se
traduit comme on l’a vu dans le chapitre VII (pages 62-63), par une
évolution inexorable des Surfaces Toujours en Herbes (STH) vers des
couverts arborés.
Toutefois, on dira ici, le peu de confiance que nous
devons faire aux chiffres, car il faut en général prendre en compte que
les personnes recensées ne déclarent jamais l'entière vérité et que de
leur coté, les enquêteurs sont parfois fatigués.
Malgré ces deux types de biais, on peut considérer que la faillite du
Système Agricole (SA) met en évidence l'impossibilité qu’a eu l’homme,
dans les zones où la mécanisation n'a pas été possible, de lutter, sans
l'aide des animaux domestiques, contre ce type d'évolution. Dans ce
sens, par ici le mythe du Surhomme a quand même reçu, au passage, un
peu de plomb dans l'aile. Pour nous d’ailleurs, ce mythe sera toujours
le fait d'une collectivité.
De plus, si on lie cette variable (la
présence des herbivores) à l'évolution de la totalité des surfaces vers
des surfaces boisées, on remarquera aussi que par la même occasion la
biodiversité locale en prend historiquement un sacré coup derrière les
oreilles.
Elle en prend aujourd’hui un autre coup, si on considère que les
populations actuelles, qui ont capté au fur et à mesure, les principaux
cours d’eau afin de satisfaire leurs besoins ménagers et « jardinesques
», arrivent pratiquement en été à assécher ces pauvres ruisseaux (ceux
que nous avions repéré ci-dessus comme ayant une fonction esthétique et
psychique potentielle sur notre inconscient (et peut-être aussi, sur
celui
des pêcheurs)).
Tant pis pour le murmure des petites cascades,
tant pis pour nos oreilles et tant pis aussi, pour la vie des
écrevisses et des truites, ou autres habitants secrets de ces parages
humides: «Ils n'avaient qu'à pas se trouver là !». « D'ailleurs’s ces
rivières étaient braconnées sans arrêt depuis déjà longtemps, « alors’s
» pour ce que ça change... »
On appelle ce type de société, une société minière de pillards. Quand
il n'y a plus de ressources dans un endroit, elle va se faire voir
ailleurs.