-
"Hé! Tu sais que j'ai failli tuer ton âne"
- "Ah bon! Et pourquoi ?"
- "Eh bien, imagine que j'étais assis sur mon tracteur à faucher le pré
du "pla", quand tout à coup, derrière moi, j'entends un barrissement
plus fort que celui du moteur. Je me retourne effrayé et que vois-je ?
Ton âne, en train de me courir après, à une vitesse incroyable, la tête
relevée et les naseaux fumants, brayant d'une manière barbare, les
oreilles quillées en arrière et la crinière ressemblant à celle d'un
punk, prêt au combat. Il me fonçait dessus l'animal ! Tu me croiras si
tu veux, mais bien qu'étant sur mon tracteur, j'ai eu peur. La
prochaine fois, j'y fonce dessus avec mon engin ".
Contredire notre ami (un ami qui depuis est mort d'une décharge
volontaire de chevrotine dans la poitrine), c'était s'exposer
immédiatement au coup de poing. Il faut dire qu’il était fort comme un
taureau et que la force chez lui s'était développée dans le buste et
les bras, car le pauvre, il lui manquait une jambe.
C'était un personnage extraordinaire, qui buvait d'une manière
inimaginable, certainement pour oublier son infirmité, (bien qu'il y en
ait qui boivent sans être infirme ou avant de le devenir...) Malgré ses
beuveries quotidiennes, il avait développé une force colossale et son
infirmité ne lui interdisait aucune fonction. Nous l'avons toujours vu
se déplacer, conduire, monter sur le tracteur, et porter des poids
énormes, sans jamais demander l'aide de quiconque.
Son histoire est édifiante à plus d'un titre, mais avant tout elle
forçait l'admiration, dans la mesure où l'on se demandait quelle aurait
été notre réaction dans la même situation. Nous n'avons jamais su
comment était survenu son handicap. Certainement un accident de la
circulation, mais peu importe (il fut un temps où en France, plus de
17000 personnes par an essayaient d'abolir la notion de vitesse !...et
ce désir éthéré d’absolu laissait en même temps, quelques 300000
blessés plus ou moins graves au fond des hôpitaux).
Outre sa force
colossale, il avait développé une forme de rage à l'encontre de tout
ce qui était social ou individuel, à condition que cela ressemble à un
homme, et les seules bonnes paroles qui lui venaient à l'esprit en ma
compagnie, étaient du genre: "je ne sais pas pourquoi, mais tu es la
seule personne que je n'ai pas encore eu envie de tuer". Phrase
définitive pour un esprit contemporain !
Il s’évadait de son spleen et de son envie de cogner sur tout ce qui
bougeait, par une sorte d'humour, assez fin, qui laissait en général
sans réaction et qui était définitif, dans la mesure où on sentait bien
qu’il était exclu d’y ajouter quoi que ce soit. En général, on se
sauvait des situations les plus périlleuses en lui offrant à boire à
volonté et en l'admirant, car, et c’est le propre de l’homme, rien ne
vaut l'admiration même feinte de quelqu'un, pour le valoriser.
En ce temps-là nous étions encore nous-mêmes, des marginaux vagabonds
et le fait qu'il nous considère, financièrement et physiquement
parlant, comme inférieurs à lui, nous évitait une guerre qui lui aurait
donné une occasion de plus de voir la vie sous l'angle de la « castagne
». Il ne nous en voulait pas trop d'habiter où nous étions, à condition
que l’on s’écrase.
Dur labeur pour un homme de toujours se faire passer
pour plus faible qu'autrui afin que de survivre.
Notre âne, quant à lui, avait en général besoin d’une trentaine de
femelles pour assouvir ses ardeurs sexuelles et, aussitôt qu'il voyait
un tracteur de quarante chevaux, avec le peu de discernement qui
caractérise les ânes, il y fonçait dessus.
Il s'était donc détaché ce jour-là et, comme pour se venger de
quelqu'un qui viendrait lui couper l'herbe sous le pied, il avait
décidé de se mettre à courir derrière le tracteur. Action autonome qui
avait doublement comblé de fureur le seigneur de la région, d'une part,
parce que cet âne n'aurait pas du être dans une de ses prairies
préférées, et d'autre part, parce qu’il avait osé s'attaquer à lui.
Nous n'en tuâmes pas notre âne pour autant, mais j'en connais d’autres
qui ont tué leur chien pour moins que ça. De plus, le folklore
entretenu par la troupe de notre ami étant à la hauteur du folklore
entretenu par notre propre groupe, nous n'avons jamais vraiment pris
ombrage de ces débordements.
De son coté, notre âne de Nubie (un âne dont on se demandait ce qu'il
pouvait bien faire ici, si loin de la terre de ses ancêtres),
entretenait par ailleurs une certaine animation dans les rapports de
voisinage parfois si précaires et sa présence inopinée et imprévisible
donnait lieu, il faut le dire, à des situations habituellement
cocasses. En voici un exemple de plus.
Nos aimables voisins (les deuxièmes en partant de la gauche), avaient
décidé un jour d'été, dans un élan de bonne humeur, de nous faire
parvenir un peu du surplus de leur récolte de prunes, une récolte qui
cette année-là avait été particulièrement importante. Leurs arbres
croulant sous le poids de leurs fruits, ils nous faisaient dire
régulièrement de venir en cueillir, car ces fruits sont fragiles et
pourrissent très vite.
Encombrés par ce surplus arboricole, ils décidèrent donc par
l'intermédiaire de leurs enfants de nous faire parvenir deux grands
paniers de prunes remplis à ras bord, fruits que nous aurions pu plutôt
que de les manger tous, envisager de transformer en confiture, car la
prune, il faut le savoir, est un laxatif puissant et on ne peut sans
sourire, imaginer le type de débordements qu’aurait pu provoquer leur
ingestion totale. Dans le fond, ils espéraient peut être cela !
Malheureusement, nous n'étions pas là (nous étions sûrement allé
vagabonder une fois de plus dans des régions dites civilisées, ou
considérées comme telles). Il n'y avait personne dans les environs
immédiats de la maison. Personne, ce n'est pas tout à fait vrai, car il
y avait encore notre âne qui gardait le trésor et le résultat de sa
présence fut le suivant.
Les enfants de nos voisins, apeurés par le
comportement imprévu et les manifestations réjouies de notre âne quand
il décida de manger ces prunes, avaient, après avoir défendu par
quelques tentatives infructueuses leurs paniers de la fureur gourmande
de l'animal, pris la fuite en laissant à sa merci les présents
considérés comme tels.
Ils s'enfuirent donc, mais pas très loin et allèrent se cacher dans les
sous-sols de notre maison, bien à l'abri des débordements intempestifs
de cet animal au comportement si inattendu. Ce dernier profita de la
circonstance pour aller se goinfrer avidement du contenu des paniers,
contenu qu'il renversa et étala sur une bonne surface.
Mais une fois
qu'il eut finit son repas, vu qu'avant tout c'était
un âne facétieux, il se mit dans la tête d’entrer dans la maison,
devinant la cachette des porteurs de prunes, qui eux, plus que jamais,
se barricadèrent derrière la porte branlante mais salutaire de leur
abri « anti-anonique » improvisé.
Un âne peut avoir de la patience et il le prouva ce jour-là, restant
fidèlement plusieurs heures devant la cachette. A la nuit tombée, ou
disons entre chien et loup, quand les pas des fantômes commencent à
envahir l'espace, les parents commencèrent à s'impatienter et à se
demander ce qui pouvait bien retenir si longtemps leurs enfants loin de
chez eux. Ils décidèrent de venir les chercher. En arrivant devant la
maison, ils comprirent en un clin d'½il la situation et se mirent en
devoir de les délivrer des avances de notre âne.
Il faut préciser ici que ces enfants étaient respectivement deux jeunes
filles de quinze et seize ans. Cela aurait pu donc être un gardien bien
différent qui les retint prisonnières… Elles en furent quittes pour la
frayeur.
Nous ne rentrâmes que bien plus tard et, dès le lendemain en nous
levant, nous ne comprîmes pas la présence de quelques prunes sous un
frêne.
Cet âne, avait donc des pulsions sexuelles très développées, des
pulsions qui, dans certains cas, pouvaient s'avérer dangereuses. Outre
que ce dernier mordait tout ce qui passait à sa portée, il avait de
plus, une sorte d'attirance incontrôlable pour les chèvres et devenait
intenable aussitôt qu'il en apercevait une, passer devant lui.
Bien
qu'il fût la plupart du temps attaché à son piquet ou enfermé dans un
grand parc, il lui arrivait, de se libérer de ses entraves
et dans ce cas, il devenait un danger potentiel pour tout son
entourage. Pourtant, jusqu'à l'âge de deux ans, nous pûmes le garder à
l'intérieur
du troupeau avec le secret espoir qu'un jour, il guiderait celui-ci à
travers champs. Mais cet espoir fut très vite déçu. Devant son attitude
et ses besoins irrépressibles, nous découvrîmes ainsi qu'un âne est lié
de manière irréversible à la satisfaction de ses pulsions.
Mais
rassurez-vous, vous allez voir que nous sommes tout de même bien loin
du contenu de certains films pornos encore à l'affiche. Tout d'abord
lors d'attouchements discrets sur son flanc gauche et croyant
certainement qu'il avait affaire à des avances, il mordit cruellement
en retour le sein d'une amie (cachez ce sein que je ne saurais voir).
Ce sein en resta noir pendant plus de trois semaines (nous avons
vérifié son évolution au fur et à mesure), puis, certainement par
dés½uvrement, il mordit le bras de quelqu'un d'autre qui s'ingéniait à
lui prodiguer quelques affectueuses caresses sur le bas-ventre. Enfin,
pour couronner le tout, il mordit un jour les fesses d'un ami qui, par
inadvertance, avait eu la malencontreuse idée de lui tourner le dos
pendant la cueillette d'une fleur.
On le voit, cet âne était dominé par
des pulsions dentales. De plus, il n'avait aucune morale...
Mais surtout, comme je le disais plus haut, c'est que faute d'ânesses
(rien n'est jamais totalement parfait en ce bas monde) ses nécessaires
reports se faisaient le plus souvent, à l'encontre de notre troupeau de
chèvres. Ce dernier, devait avoir pour lui un attrait irrésistible,
ceci, il faut le dire, en dépit de toute la ténacité et tout le courage
que le bouc déployait, pour défendre son harem. C’est ainsi qu’aussitôt
que notre âne apercevait une chèvre, il se mettait à la poursuivre avec
une sauvagerie dont seul les ânes ont le secret et la pauvre bête ne
devait souvent son salut qu'à son agilité et à sa rapidité à profiter
opportunément de la présence d'une haie ou de quelques taillis
impénétrables, obstacles devant lesquels cette bourrasque était bien
obligé de piler net (j'ai vu des chèvres championnes sauter à plus de
deux mètres de hauteur !).
Nous l'avons vu aussi, un autre jour, se saisir d'une autre chèvre par
la peau du cou et la traîner sur au moins, trente à quarante mètres de
distance. Il en aurait fait de la charpie si nous n'étions pas
intervenu à temps en criant de toutes nos forces pour arrêter ce
massacre.
L'assouvissement de ses fantasmes ânesques pouvait même aller plus
loin, car une fois de plus, il se saisit devant nous d'une chèvre
malade qui restait près de la maison et il l'écrasa bel et bien de tout
son poids, égaré qu’il était par la perte de contrôle de ses pulsions
sexuelles. Ce jour-là, nous considérâmes qu'il était allé trop loin et
qu'il avait dépassé ce que nous pourrions appeler « la mesure commune
». Ce jour-là,
nous considérâmes qu'il était allé trop loin et qu'il avait dépassé ce
que nous pourrions appeler « la mesure commune ».
Nous nous décidâmes à le faire castrer.
Contre toute attente, cette
opération ne fut pas douloureuse. Elle nous laissa cependant certains
regrets: n’existait-il pas sur terre, quelques autres possibilités pour
réfréner les aspirations érotiques d'un âne, par la non-violence par
exemple ou bien afin de le calmer plus précocement, fallait-il prendre
le mâle au berceau puis, essayer de trouver une manière de dérivatif
(?) ou encore, fallait-il manipuler d'une façon plus appropriée sa
libido en le faisant analyser par un spécialiste ? Autour de nous, ce
n'est pourtant pas les idées qui manquaient.
La meilleure façon que l'on nous indiquait invariablement, celle donc,
qui revenait de manière récurrente, était qu'il fallait le faire
travailler un maximum afin qu'il passe son influx dans quelque chose de
rentable pour le groupe (
Eros et civilisation); une idée saugrenue
devant laquelle nous nous défilions continuellement considérant que
cela nous aurait donné beaucoup plus de travail à nous de le dresser,
que ce que cela nous aurait en contrepartie rapporté sous une forme
plus concrète (bois de chauffage, cailloux déplacés, etc...).
La deuxième méthode qu'on nous soumettait régulièrement était qu'il
fallait tout simplement le dresser à coup de bâtons, premièrement pour
qu'il nous respecte un minimum et deuxièmement pour qu'il obéisse au
doigt et à l’½il, brutalité à laquelle nous nous refusions tout
simplement par idéal de non violence. Nous refusions aussi cette forme
de relation extrême car nous avions découvert que la simple vue d'une
mince baguette de bois de quelques centimètres de longueur, arrêtait
aussitôt ses ardeurs juvéniles.
La troisième voie soutenue par notre entourage, était qu'il fallait
l'attacher et lui parler doucement tout en lui caressant les naseaux et
le derrière des oreilles. Nous essayâmes pendant près de quatre ans
cette ancienne méthode de sioux. Toutefois, au bout d’un laps de temps
qui peut paraître à tous suffisant pour se faire une idée statistique
sur un thème donné afin d'en déterminer une loi, il mordait toujours
autant la main qui s'approchait pour le caresser et ruait férocement
aussitôt que quelqu’un essayait de lui mettre le moindre objet sur le
dos.
C’est ainsi qu'au début de la cinquième année, cet âne avait eu
l’incroyable privilège de ne jamais avoir eu à porter le moindre poids
sur son dos délicat ni d’ailleurs une quelconque besace. Pourtant,
c’était bien là le minimum que nous envisagions de lui demander, en
compensation de tous les soins que nous déployions régulièrement envers
lui afin qu'il ait continuellement une litière propre, une nourriture
variée et abondante, ainsi qu'un espace suffisant pour se dégourdir les
pattes. Nous considérâmes ce laps de temps plus que suffisant et à son
terme, nous décidâmes de nous séparer de cet âne si borné, sachant
qu'entre nous il n'y avait plus rien de positif à faire, ni pour les
uns ni pour les autres.
Il vit à l'heure actuelle dans une sorte de ferme où, paraît-il, il
fait des merveilles et où il est soi-disant devenu un modèle d'âne
intégré, mais tout ceci uniquement dans les quelques domaines
métaphysiques auxquels ont accès les ânes (méditations
trans'ânales,
mimiques déconcertantes, coups de sabots percutants et fatals, etc.).
Par contre, il n'a toujours pas porté plus de cent grammes sur le dos.
Ce que nous regrettons le plus en lui c'est la douceur de son regard et
la forme de ses grands yeux étonnés qui savaient tant nous émouvoir.
Mais faut-il vraiment le regretter quand on sait que pour vaincre le
sexe, il faut se transformer en ombre et que pour accepter cette lourde
défaite il faut avant tout, avoir fait auparavant un sacré travail sur
soi-même
! Nous, qui au détour d'un bois ou à l'angle d'une tour en béton
n'avons jamais violé personne, ni tenté de le faire, nous sommes
maintenant persuadés que finalement on ne doit pas laisser la nature
aller au bout de ses délires, car des ânes mal bâtés descendront très
certainement, les futurs tueurs en série qui dépèceront vos femmes à
tous les carrefours.
Pendant que les armées des vainqueurs s'épanchent dans les bouges, à la
recherche de plaisirs toujours plus bestiaux, à la terrasse du sexe
s'attable parallèlement une nouvelle forme de violence, qu'une
irrépressible foi sexiste maintient dans l'ignorance de rapports idéels
et naïfs, côtoyant la douceur.
Par la même occasion, nous comprenons aussi parfois, la douleur des
filles-mères quand au zénith du sexe, nous repartions vainqueurs à la
lueur de l'aube pour attraper ailleurs d'autres mouches agglutinées aux
réverbères de nos yeux incandescents. Postés tout au long de ces fins
de nuit d'effroi à attendre que vienne les érections finales.
Ha !
Terre des vaincus. Teintes retardataires de cloportes érigés en balcons
de venins. Rognure aux milles faces. Odeur des nécropoles. Ligature des
sens, quand l'excision ne devient plus possible. Raideur de nos
entrailles. Piédestal pour les fauves. Petits cons immatures. Roulures
des berceaux, ici finit ton aventure.
Enfer de nos ébats. Temps passés à construire le vide de nos sens, cet
intrépide comburant de la foi.
Ronde des orphelins allant les bras en
croix vers de nouveaux destins. Miracles d'autrefois entretenant la
sève de notre sperme mou. Mollusques hermaphrodites qu'une petite pute
bivalve a serti de coraux. Ordure des tréfonds de notre enchantement à
vouloir dépasser les lois que la nature a prise, au lieu de se
méprendre, au lieu de se détendre, dans les bras d'assassins capables
de violer jusqu'au son enfantin émis par des bébés agglutinés le long
d'axes anaux, le long de raies publiques, quand l'orgueil s'abolit dans
des spasmes sans fin.
Adultère sans lieu, d’êtres désavoués. Serments sélectionnés aux
passeports étranges. Virus de nos ententes. Calme des oppresseurs,
quand nous vaguions discrets au creux des touffes d'herbes, à signaler
un joint pour surprendre l'Histoire (pour suspendre le temps).
Mon enfant puis-je te dire ici que ce monde n'était pas vraiment fait
pour toi. Il était fait simplement pour vider le sperme de cocus
défaillants au c½ur des méandres de leur exil terrestre.
Ravages de
primates attablés au comptoir de la copulation, dans des étables
sombres, livrant leur poids de chair au moindre vent qui tourne, au
moindre courant d'air, afin que nous soyons obligés de vaquer sans
arrêt à comprendre le sens de cette maigre idylle qui a fait naître en
nous ce besoin irascible de la reproduction. Mais on n'est tout de même
pas obligé de faire des mômes parce qu'on est trop heureux ou
malheureux de vivre ! (On peut même en adopter, ce qui, dans le fond,
nous parait être la meilleure des solutions).
Troupeaux de gerbes enchâssées aux destins de quelques fioritures.
Enluminures exaucées par quelques instants de plaisirs, le long de
canaux translucides (parfois mêmes frigides), qui permettent à la foi
d'aller vagabonder loin des chemins de halage, dans le ventre tiède et
avide de nos épanchements. Réceptacle des humeurs les plus vaines, d'où
sortiront vagissantes les haines radicales de nos futures mères, de nos
futurs grands-pères, de nos futurs frangins.
Destins nauséabonds aux
formes quadri pattes qui tenteront plus tard de nous ensorceler, pour
avoir simplement essayé de comprendre ce que le monde cache derrière
son cul sans fond. Misère d'outre tombe. Fin des malentendus.
Ailleurs
le désert gronde d'une historique fronde, envers ces culs bénis qui
s'agrippent à l'endroit de nouveaux décorum.
Images vaines de notre chair balbutiante, à l'orée du désir, à la
lisière de l'esclavagisme, dans les issues de secours entremêlées de
charme(s), en marge des destins atrophiés par de trop lourdes charges,
quand le c½ur n'en peut plus de pomper du transit, quand il devient
hagard, sous le regard de fauves investis
çà et là pour qu'il pompe toujours, dans l'ambiance obscène des luttes
fratricides, lorsque les éléments (les sentiments) nous arrachaient du
vide.
Dans ces pourtours juteux de convives haineux, s'assombrit un passé
fait de remous sanglants. Antichambre des clones, destins éphémérides,
accolés à des tapis de chanvre et de bitume, loin des regards osés de
faibles tarentules occupées à tisser la toile des venins, ensemençant
leurs pas de trahisons secrètes, pour que nous n'allions pas vers ces
destins fugaces aux odeurs d'oranger, aux odeurs de voyage.
Route barrée de saints entretenant la lutte. Absence d'au-delà. Train
de nos inquiétudes souriant aux rapaces. Liserés du bonheur aux tièdes
certitudes, dans tes jambes fermées, au sein de l'inquiétude, nous
ensevelissions nos verges pour qu'elles aillent percer cet hymen
encaissé entre des couches d'ambre. Ha ! Terre des venins, suis-je
devenu fort, à force de tremper ma plume dans la moiteur du sperme ?
Hymen des inquiétudes. Sexes en attente de spermatozoïdes. Bambou de
nos tam-tams. Appels de nos entrailles.
D'où nous vient alors cet amour irraisonné qui nous porte à aimer les
ânes envers et contre tout ?
Cette remise en question totale de nos rapports aux autres, fit que
notre propre enfant naquit des langueurs de l’été, au sein de nulle
part. Il accoucha tout seul au milieu des rocailles dans une cavité
sombre, aux abords des bruyères, avec pour seuls amis, les fruits de
l’amertume. Ce « rebirth » n’était pas en soi l’histoire d’une autre
vie, mais simplement un acte de courage. Et du courage il en faut pour
supporter la vie. Dans les obscurs couloirs, les dédales d’odeurs, il
grandit peu à peu. Il avait de grands yeux étonnés. On l’appela Roman.
Je suis sûr que vous n’aviez jamais vu ça d’aussi près, ce timide
sourire, derrière ces yeux doux. A contempler l’espace, à défier le
temps, il aurait fait sombrer des navires de larmes.
Près des baies,
quand il pleuvait, il penchait son front sur la vitre et devant ce
miroir admirait les vestiges de cet amour puissant qui négligeait le
vide.
Seul déjà devant les volutes de gel, sur les carreaux glacés, il
contemplait le monde. Nous l'habituions peu à peu à rester orphelin,
car son père de sang avait quitté la terre, amouraché d’une pulpeuse
blonde qui lui laissait ailleurs l'espoir de vivre en citadin. Cet
enfant adoptif haït dès lors ce père timoré de l’avoir laissé seul dans
ce pauvre univers en acceptant le tout.
De notre coté, nous le laissâmes vivre en vagabond.
Il se lavait dans
l'eau claire de la fontaine qui jaillissait tout près de la maison et
pataugeait interminablement dans les eaux boueuses des flaques.
Je l'ai vu s'amuser et narguer le climat. Je l'ai vu sautiller et
courir dans les bois. J'ai senti palpiter sa veine jugulaire. Je l'ai
vu habiter au sein de familles cloîtrées dans leurs terreurs modernes
(dans leurs fureurs modernes). Je l'ai vu grimper au sommet des
montagnes, s'accaparer l'espace frivole et dégagé, se pencher dans le
vide, quand au détour d'un lac il revenait transi. Je l'ai suivi sur
les chemins de terre, là où s'ouvre le rêve, vers des ailleurs
meilleurs, aux destinées barbares. Je l'ai vu tournoyer au dessus de
vos têtes, s'enivrer de grand air porté par des courants plus forts que
la matière. Je l’ai vu scintiller. Songe même que je l'ai vu parfois
rêver à construire des ponts entre le ciel et l'eau pour aller au delà
du transit habituel de vos routes gammées. Au carrefour des âges, je
l'ai vu bifurquer, aller où il n'y a rien d'autre à espérer que la
force des autres pour vous accompagner.
Je ne le vis jamais ni pleurer, ni douter de notre aide. Il allait ça
et là, visitant les greniers, les granges des voisins, dénichant les
oiseaux, cohabitant sans cesse avec tout ce que la nature peut offrir
aux êtres de gratuit et de mystérieux, présageant que plus tard,
l'espace se peuplerait de songes, prévoyant les sentiers aux bornes de
vos trêves, quand vous n'en pourriez plus d'avancer au galop, quand
vous seriez usés à force de vous perdre dans des souliers trop grands.
Quand vous seriez
usés d'accompagner cette marche funèbre au son de tambourins plus
aigres que le vent. Je l'ai vu nettoyer des sentiers dans des taillis
obscènes faits d'idéaux mort-nés, faits d'obscures passions à démonter
le temps, à vider des pelures. Je l'ai vu engager des joutes
périlleuses face à des firmaments plus rouges que le sang, des
firmaments oxygénés de rage.
Puis nous nous sommes enfuis avec lui loin des cadres formels de vos
passions barbares, pour qu'il ne souffre pas de la fuite du temps, pour
qu'il ait à manger des mets impérissables, qu'il goûtât avant tout aux
charmes de la gloire, d'avoir erré ainsi en marge de vos foires.
Festoyant dans les brumes nous nous sommes ancrés au c½ur de citadelles
autrement plus imprécises, que ne le sont vos lieux de médisance
active. Nous avons essaimé les encres de vos livres, sans cohabitation,
sans aucune contrainte autre que l'exsudat de nos folles étreintes.
Nous nous sommes lavés dans des torrents d'asphalte, quémandant çà et
là quelques miettes de bonheur à ce peuple de vaches, ruminant de
conserve la fin des représailles. Loin des amours charnels nous avons
fait la route du flux puissant de nos pulsions morbides, pour éviter le
pire et faire reculer la noirceur de palais encrassés d'habitudes,
sécrétant des venins plus forts que l'aventure. Nous avons percés
ensemble les murs d'indifférence, ensevelis vos combles à force de nous
pendre, contre cette terreur que vous manipulez envers les multitudes.
Nous nous sommes forcés à aller de l'avant, pour n'avoir pas un jour à
digérer d'un coup la morgue de vos cendres, ces statues de béton
construites sur des enfers de luxe, ces haubans de fortune que vous
enluminez avec une énergie posthume. Nous avons vécu ensemble un retard
transcendantal, nous enivrant sur place de toutes les servitudes
auxquelles nous échappions à chacun de nos pas.
Un peu plus loin, pour nous distraire un peu, nous avons lu bien
d’autres paysages. Loin des cultes fascistes et à travers le néant de
nos prismes orphelins de toutes certitudes, nous avons laissé aller nos
doutes ou plus profond de nous, puisant l'exactitude dans des lieux de
hasard : quand les routes s'épanchent vers le vide, quand d'obscures
tourmentes nous cernaient de leurs bras, quand d’étranges destins nous
faisaient haleter à force de nous rendre les voies impraticables.
Combien d'incertitudes ont échoué ici au c½ur de notre mélancolie
féconde. Nous avons pleuré en concert des flots inépuisables de rancune
tenace, nous sauvant de la mort par l'éternelle fuite de nos liens
incessants, nos rencontres banales, lorsque nos sens en alerte ne nous
parlaient plus que de chagrin. Témoignage direct de latrines salies par
de pesantes merdes. Graffitis de nos chiottes !
Mon enfant, je t'ai sauvé de tout, j'ai tout rendu possible, lorsque tu
balbutiais le long des précipices, fière de tes erreurs, attelée à
contourner le sens de la donne. Tu t’étais décharnée à force de te
rendre, là où les magasins sont noirs d'indifférence. Nous avons aimé
les mêmes choses, décloisonné l'espace au nom de l'insouciance, abordé
les chenaux, sabordé nos chevaux afin que notre fuite ressemble à une
attente. Attente de vos sens, incrédules de voir combien la vie est
belle au loin de vos trottoirs. Attendu sans retard que la montre
circule au son de rendez-vous inesthétiques, inépuisables,
inqualifiables, quand les queues de billard nous montrent l'ouverture
béante de vos trous, les repères au rebord de chaque empêchement, les
coulisses damnées de vos vaines colères (de vos vaines chimères).
Nous avons été les intimes de vos candeurs séniles, assis tout près de
vous, sur des divans coiffés de vert velours, sur des chaises de jade
marquetées au poinçon, sur des strapontins en lisière des marges,
farfouillant çà et là quelques rebuts à tordre pour comprendre les
gestes qui nous faisaient trahir, à chacun de nos pas votre morne
avenir. Soupentes allégoriques de destins affamés par l'attrait du
miroir, admirable racket de votre inconscient. Parfois je pense que
l'environnement n'a jamais eu de poids sur vous. Sauf à émettre un
doute
sur l'opportunité de construire un harem pour exhiber vos doigts
maculés de rubis, tachetés d'une bile émeraude, sertis par des saphirs
proches de l'avenir.
Espèce de pillards ! Espèces de piaillards ! Vos
fanfreluches baignent dans la tiédeur d'un soir où arrimés aux branches
nous inventions la vie, pour vous laisser plus tard, le désir d'accéder
à des états suprêmes. Orgasmes d'au-delà, orgies des magnétismes,
signifiants opportuns, n'avez vous jamais eu envie de connaître la
suite... ?
En ces temps éloignés, nous vivions de rapines, exécutant l’ennui au
nom de l’insouciance. Mais n’est-ce pas partout pareil ailleurs, au
fond de vos placards ?
Loin de vous, nos enfants vécurent ici-bas et ils furent nombreux à
happer le désir, à comprendre l'absurde, s'inventant des degrés
d'objections ésotériques pour ne pas se rendre à la totale évidence de
vos preuves rancies. Ô ! Magnitude gauche, Oracle des destins,
sers-nous une fois de plus ta soupe populaire, pour qu'en haillons,
ensemble, nous parlions des festins que nous partagions tous, quand
nous étions encore des enfants le long des barricades.
Je trouve tout de même que dans le fond, tu as eu bien du courage pour
me supporter au jour le jour. Avec mes colères terribles, qui faisaient
tressaillir l'exaltante bataille dans l'univers hagard de nos folles
logiques, dans l'extrémisme obtus de nos vaines chimères. Bouillonnant
de sang froid, le couteau dans les yeux, le sexe dans la gorge, nous
sommes allés ensemble bien au delà des termes qui auraient du mûrir de
ces heures bavardes assoiffées de bonheur. Quand nos dents caquetaient,
quand nos nez reniflaient, quand nos yeux se rivaient, quand nos
oreilles s'extasiaient, quand notre salive s’échangeait les virus. Je
t’ai aimé avec mes ongles. Je t'ai écrit avec mon sang.
Mon enfant, tu as eu le courage d'attendre que j’épuise mon infinie
candeur, à ne jamais avoir à écraser le moindre moucheron, diffuser par
les yeux ce que d'autres condamnent pour que l'aridité leur serve
d'horizon. Pleurer les vastes plaines, pleurer les cocotiers que nous
entrevoyions dans notre solitude comme les étourneaux entrevoient leurs
passages, la suite du voyage....
Pleurer ces éléments qui emprisonnent l'homme dans des salons
d'honneur, qui leur servent de tombe. Pleurer nos habitudes perdues à
circuler en rond sur des rocades orange. Gestes de tous les jours,
servitudes sans nom, empire des boyaux, fin de la voie unique, fin du
sens interdit. Début des contresens. Mon temps est aujourd’hui devenu
absolu.